Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pratiques déjà établies (Exode, 20-21), dont Moïse règle le détail, mais qu’il n’introduit pas et dont l’importance n’est nullement comparable à celle des paroles que le prophète a citées et auxquelles il avait le droit de s’attacher. Et le dire du prophète est vrai, si on l’entend en ce sens que, dans l’Exode même, la pratique des sacrifices n’est pas une condition que Jéhova ait mise au pacte qu’il fait avec Israël.

On comprend d’ailleurs que dans la seconde moitié du IIe siècle les rites ne fussent pas en grande faveur. L’insurrection des hommes de Juda n’avait été qu’une réaction contre la séduction qu’avaient d’abord exercée sur eux les mœurs et les idées grecques, et sous cette influence, ils s’étaient insensiblement détachés de leurs pratiques. Et comme leurs grands-prêtres continuaient d’être, jusqu’à Jonathan, des créatures des rois syriens, dont l’âme n’était plus celle des fidèles, et qui ne donnaient plus à leur dieu que des cérémonies extérieures, ces cérémonies durent être discréditées aux yeux des purs. L’esprit de hardiesse et, de liberté qui faisait les prophètes était toute autre chose que l’esprit sacerdotal, et il se développa, à la suite de la guerre de l’indépendance, un mouvement qui, comme plus tard le mouvement chrétien, allait en sens contraire des prescriptions littérales.

Mais parmi les sacrifices, il y en avait un particulièrement odieux, c’est celui des enfans nouveau-nés, qu’on faisait, passer par le feu devant le dieu pour apaiser sa colère, et c’est là qu’on a plaisir à entendre Jéhova, dans Jérémie, protester qu’il ne l’a jamais voulu, qu’il n’en a jamais eu la pensée (7-31). Cependant c’est bien Jéhova qui commande formellement dans l’Exode : « Tu me donneras le premier-né de tes fils (13-3), » sans qu’il soit dit d’ailleurs comment se faisait l’offrande. Il est vrai qu’un autre verset (13-12) permet de sacrifier un animal au lieu de l’enfant, mais c’est là évidemment une addition faite plus tard au texte, et qui y a été bien singulièrement cousue[1]. Le Lévitique parle plus explicitement de ces sacrifices par le feu (18-21 et 21-2), adressés au roi, c’est l’expression qu’il emploie (en hébreu, au Molek ou Moloch), et ce roi est évidemment Jéhova lui-même, puisque Jéhova dit qu’ainsi on rend impur son sanctuaire et qu’on profane son saint nom[2]. Le Lévitique donc, en parlant de ces immolations d’enfant, les condamne ; mais, quoiqu’il les condamne, il n’ose pas les punir. Car après avoir prononcé d’abord la peine de la lapidation, il ajoute

  1. « Tu rachèteras par un agneau le premier-né de l’âne (animal trop précieux pour le perdre) et tu rachèteras le premier-né de l’homme parmi tes fils. » Et, dans un autre endroit (22, 29), on a oublié cette correction.
  2. Voir Iahvé et Moloch, par Baudissin (en latin). Leipzig, 1874.