la solitude redeviendra aimable à ton cœur et bientôt tu seras en état de reprendre les travaux ascétiques que tu pratiquais autrefois et que ton voyage a interrompus. Mais il ne faut pas attendre un grand bien d’une pénitence excessive. Du temps qu’il était parmi nous, notre père Antoine avait coutume de dire : « L’excès du jeune produit la faiblesse et la faiblesse engendre l’inertie. Il est des moines qui ruinent leur corps par des abstinences indiscrètement prolongées. On peut dire de ceux-là qu’ils se plongent le poignard dans le sein et qu’ils se livrent inanimés au pouvoir du démon. » Ainsi parlait le saint homme Antoine ; je ne suis qu’un ignorant, mais, avec la grâce de Dieu, j’ai retenu les propos de notre père.
Paphnuce rendit grâces à Palémon et promit de méditer ses conseils. Ayant franchi la barrière de roseaux qui fermait le petit jardin, il se retourna et vit le bon jardinier qui arrosait ses salades, tandis que la colombe se balançait sur son dos arrondi. À cette vue, il fut pris de l’envie de pleurer.
En rentrant dans sa cellule, il y trouva un étrange fourmillement. On eût dit des grains de sable agités par un vent furieux, et il reconnut que c’étaient des myriades de petits chacals. Cette nuit-là, il vit en songe une haute colonne de pierre, surmontée d’une figure humaine, et il entendit une voix qui disait :
— Monte sur cette colonne !
A son réveil, persuadé que ce songe lui était envoyé du ciel, il assembla ses disciples et leur parla de la sorte :
— Mes fils bien-aimés, je vous quitte pour aller où Dieu m’envoie. Pendant mon absence, obéissez à Flavien comme à moi-même, et prenez soin de notre frère Paul. Soyez bénis. Adieu.
Tandis qu’il s’éloignait, ils demeuraient prosternés à terre, et, quand ils relevèrent la tête, ils virent sa grande forme noire à l’horizon des sables.
Il marcha jour et nuit, jusqu’à ce qu’il eût atteint les ruines de ce temple bâti jadis par les idolâtres, et dans lequel il avait dormi parmi les scorpions et les sirènes, lors de son voyage merveilleux. Les murs, couverts de signes magiques, étaient debout. Trente fûts gigantesques, qui se terminaient en têtes humaines ou en fleurs de lotus, portaient encore d’énormes poutres de pierre. Seule à l’extrémité du temple, une de ces colonnes avait secoué son faix antique et se dressait libre.
Elle avait pour chapiteau la tête d’une femme aux yeux longs, aux joues rondes, qui souriait, portant au front des cornes de vache. Paphnuce, en la voyant, reconnut la colonne qui lui avait été montrée dans son rêve, et il l’estima haute de trente-deux coudées.