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S’étant rendu dans le village voisin, il fit faire une échelle de cette hauteur, et, quand l’échelle fut appliquée à la colonne, il y monta, s’agenouilla sur le chapiteau et dit au Seigneur :

— Voici donc, mon Dieu, la demeure que tu m’as choisie. Puissé-je y rester en ta grâce jusqu’à l’heure de ma mort.

Il n’avait point pris de vivres, s’en remettant de ses besoins à la Providence divine et comptant que des paysans charitables lui donneraient de quoi subsister. Et en effet, le lendemain, vers l’heure de none, des femmes vinrent avec leurs enfans, portant des pains, des dattes et de l’eau fraîche, que les jeunes garçons montèrent jusqu’au faite de la colonne.

Le chapiteau n’était pas assez large pour que le moine pût s’y étendre tout de son long, en sorte qu’il dormait les jambes croisées, la tête contre la poitrine, et le sommeil était pour lui une fatigue plus cruelle que la veille. À l’aurore, les éperviers l’effleuraient de leurs ailes, et il se réveillait plein d’angoisse et d’épouvante.

Il se trouva que le charpentier qui avait fait l’échelle craignait Dieu. Ému à la pensée que le saint était exposé au soleil et à la pluie, et redoutant qu’il ne vînt à choir pendant son sommeil, cet homme pieux établit sur la colonne un toit et une balustrade. Cependant, le renom d’une si merveilleuse existence se répandait de village en village, et les laboureurs de la vallée venaient le dimanche, avec leurs femmes et leurs enfans, contempler le stylite. Les disciples de Paphnuce ayant appris avec admiration le lieu de sa retraite sublime, se rendirent auprès de lui et obtinrent de lui la faveur de se bâtir des cabanes au pied de la colonne. Chaque matin ils venaient se ranger en cercle autour du maître, qui leur faisait entendre des paroles d’édification :

— Mes fils, leur disait-il, demeurez semblables à ces petits enfans que Jésus aimait. Là est le salut. Le péché de la chair est la source et le principe de tous les péchés : ils sortent de lui comme d’un père. L’orgueil, l’avarice, la paresse, la colère et l’envie sont sa postérité bien-aimée. Voici ce que j’ai vu dans Alexandrie : j’ai vu les riches emportés par le vice de luxure qui, semblable à un fleuve à la barbe limoneuse, les poussait dans le gouffre amer.

Les abbés Éphrem et Sérapion, instruits d’une telle nouveauté, voulurent la voir de leurs yeux. Découvrant au loin sur le fleuve la voile en triangle qui les amenait vers lui, Paphnuce ne put se défendre de penser que Dieu l’avait érigé en exemple aux solitaires. À sa vue, les deux saints abbés ne dissimulèrent point leur surprise ; s’étant consultés, ils tombèrent d’accord pour blâmer une pénitence si extraordinaire, et ils exhortèrent Paphnuce à descendre.