Les enfans s’imaginent que les palais ne ressemblent pas à des maisons, qu’on y vit d’une façon toute particulière, que leurs habitans mangent et boivent autrement que le commun des mortels, qu’ils ont tous de nobles attitudes, de grandes manières, un air de majesté, et que les rois et les reines couchent avec leur couronne sur la tête. Les peuples, qui sont de grands enfans, aiment à se figurer que tout est grand dans les grands événemens et que pour y jouer un rôle de quelque importance, il faut être un héros, un fier personnage. De là naissent des légendes que les historiens ont peine à démolir. Mais ceux qui, ayant découvert la petitesse des auteurs, en concluent que la pièce ne méritait pas d’être représentée, se trompent également. On a détruit depuis longtemps la légende du 14 juillet, « de cette immortelle journée où une bande de héros, sortis des pavés de la grande ville, ont conquis la Bastille sur quatre-vingts invalides et trente-deux Suisses. » Il n’en est pas moins vrai que cette journée a marqué dans l’histoire. La Bastille était un symbole ; elle représentait le régime du bon plaisir, le mépris de toutes les garanties, le caprice royal disposant des libertés et des personnes, la justice sans jugement, l’arbitraire dispensé de s’expliquer et de donner des raisons. Quiconque a vu une lettre de cachet a ressenti l’impression qui produit un vilain visage ; on ferait cent lieues pour ne pas rencontrer certaines figures, on en ferait mille pour ne pas habiter un pays où l’on est exposé à recevoir des lettres de cachot. Quand on annonça à l’Europe que la Bastille avait été prise et, rasée, l’Europe s’émut, et eût-elle appris que la vieille forteresse n’avait été défendue que par un invalide et deux Suisses, elle se serait encore émue. Peu lui importait ce qu’avaient fait les hommes ce jour-là ; ce qui la touchait, c’était la victoire d’une idée.
Divinités impassibles et souverainement ironiques, les idées se plaisent à apparaître ici-bas sous une forme humble ou pitoyable. Comme les comédiens de Thespis, elles s’amusent à se barbouiller le visage de lie, à se couvrir d’oripeaux baroques. Quand l’heure est venue, elles entrent en scène ; si basse que soit la porte, elles trouvent moyen d’y passer, et on ne les reconnaît pas. Parlant une langue que nous n’entendons point, elles ont besoin de trouver des interprètes parmi les hommes. Ceux qu’elles choisissent sont souvent très médiocres ou très répugnans ; elles ne regardent ni au talent, ni à la vertu, elles ne regardent qu’à l’obéissance. Ce qu’elles ont à dire au monde, elles le disent quelquefois par la bouche d’un rhéteur emphatique qui s’appelle Robespierre, quelquefois aussi par la bouche injurieuse et écumante d’un Marat. Il en résulte que celui qui demandait cent mille têtes pour sauver la France appartient à