Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le vêtement particulier des chrétiens et que Tertullien l’adopta quand il se convertit. Mais Saumaise a montré que, lorsque Tertullien écrivit son traité du Manteau, il y avait longtemps qu’il n’était plus païen, qu’il avait déjà professé publiquement le christianisme et publié des ouvrages où il en prenait la défense. Pourquoi donc aurait-il tant tardé à se couvrir du même habit que ses frères, ou, s’il en était vêtu depuis qu’il était chrétien, pourquoi ne s’en serait-on pas étonné plus tôt ? J’ajoute qu’aucun auteur ancien ne nous dit que les chrétiens eussent un costume particulier, et qu’il n’est guère vraisemblable qu’une religion proscrite ait commis l’imprudence de se désigner ainsi ouvertement à ses ennemis. Elle aurait, en le faisant, singulièrement simplifié l’œuvre des magistrats et de la police. Pour découvrir les chrétiens pendant les persécutions, on n’aurait plus eu besoin d’espions et de délateurs, puisqu’ils avaient la complaisance de se livrer eux-mêmes. A cette hypothèse, que Saumaise a victorieusement combattue, il en substitue une autre qui me paraît soulever aussi beaucoup d’objections. Après avoir montré que le pallium n’était pas le costume des chrétiens ordinaires, il suppose que ce devait être celui des prêtres. Il s’appuie, pour le démontrer, sur une expression du traité de Tertullien, qui lui paraît dire que le pallium est un ornement sacerdotal, sacerdos suggestus. Mais, outre que le texte est douteux et le sens obscur, on peut y voir simplement une allusion au costume des prêtres d’Esculape, qui en étaient revêtus. Chez les chrétiens, les prêtres n’avaient pas plus de raison que les simples fidèles de se faire connaître aux ennemis de leur culte ; au contraire, comme on leur en voulait plus qu’aux autres, et que, pendant les persécutions, ils étaient les plus menacés, ils devaient aussi se cacher avec plus de soin. Je remarque d’ailleurs que Tertullien, qui en effet fut prêtre. — nous le savons par saint Jérôme, — ne paraît pas tenir beaucoup à cette qualité. Il en parle d’ordinaire d’une façon assez peu respectueuse, et il lui plait même une fois de se mettre parmi les laïques pour affirmer que les laïques, à leur façon, sont des prêtres aussi : nonne et laici sacerdotes sumus ? Ce ne sont pas là les sentimens d’un homme disposé à se parer du sacerdoce, à l’étaler avec complaisance aux yeux des indifférens et des infidèles jusqu’à courir le risque d’exposer, pour s’en faire honneur, sa liberté ou sa vie. Enfin on peut dire que, si le pallium était le vêtement ordinaire des prêtres, les gens de Carthage, où il se trouvait beaucoup de chrétiens, auraient été plus accoutumés à le voir, et que Tertullien, quand il s’en revêtit, n’aurait pas causé tant de surprise, l’étonnement qu’on éprouva semble bien montrer qu’on était en présence d’une nouveauté. Remarquons qu’il ne