préparer en renonçant à tous les attachemens de la terre qui font la douceur, le prix, ou la gloire de notre courte existence. Une morale qui commande de se détacher de tout, qui déclare que pour mériter Dieu il faut haïr son père et sa mère, sa femme et ses enfans, ses frères et ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, qu’il y a des hommes qui se sont faits eunuques pour conquérir le bonheur éternel et, que leur exemple est bon à suivre, qu’il est plus difficile à un riche d’entrer dans le divin royaume qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’il faut vendre tout son bien et le donner aux pauvres, que qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède et à tout ce qu’il est ne peut être un vrai disciple du Christ, cette morale, il faut bien l’avouer, ne peut être pratiquée que par des anachorètes et des moines.
Si le christianisme s’en était tenu là, s’il n’avait pas eu autre chose à dire aux hommes, il ne serait pas devenu la religion du monde, puisque le monde refusait de finir. Heureusement l’église, institutrice infiniment clairvoyante et judicieuse, s’est chargée de faire l’éducation de cet idéalisme intransigeant. Elle s’était instruite auprès des philosophes grecs, elle avait appris de Rome la science du gouvernement, et elle a gouverné les cités et les nations en apportant à la morale qu’elle leur prêchait tous les tempéramens nécessaires, en l’accommodant à la nature humaine et aux réalités d’ici-bas. Sans décourager les saints et tout en les glorifiant, elle a enseigné l’art de faire son salut sans être un saint et d’être chrétien sans vivre comme le Christ. C’est ainsi que d’une religion qui n’était propre, semblait-il, qu’à multiplier les cénobites, les thébaïdes et les ermitages, elle a fait durant des siècles ; un puissant instrument de civilisât ion et de progrès social.
L’idéalisme est la ressource des temps extraordinaires, la casuistique est la science de taus les jours et de toutes les heures du jour. Il faut accorder à M. Goumy que les hommes de 89 n’ont pas su donner à la France un gouvernement ; mais encore un coup, ils étaient occupés ailleurs et ce qu’ils n’avaient pas fait, c’était à nous de le faire ; nous ne devons nous plaindre que de nous-mêmes. Nous avions besoin de casuistes qui nous apprissent tous les accommodemens utiles et comment il faut s’y prendre pour ne pas être superstitieux et pour concilier le respect des principes avec ce que demandent les situations, les circonstances, avec l’intérêt public, avec le bon sens. Mais nos pères ayant dogmatisé, nous avons voulu dogmatiser comme eux. « La politique, ainsi que le dit fort bien M. Goumy, est l’art de se servir de ce qu’on a. » Voilà précisément ce que nous n’avons pas su faire. Les éternels constituans à outrance dont parlait l’autre jour M. Ferry, qui, oubliant