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II

Les innombrables consciences individuelles que la planète Terre a produites, que les autres planètes, les autres soleils, les autres univers ont pu produire, ont bien l’air de devoir rester encapsulées dans l’univers auquel elles ont appartenu. La reviviscence de ces consciences serait un miracle, comme l’ont pensé les théologiens qui ont soutenu que l’âme de l’homme est immortelle, non par sa nature, mais par une volonté particulière de Dieu. Dans le milieu que nous expérimentons, il ne se passe pas de miracles ; mais, au point de vue de l’infini, rien n’est impossible. Il est bien curieux que les juifs, qui, sans croire aucunement à une âme immortelle, ont le plus contribué à répandre les idées des récompenses futures, sous la forme de croyance au royaume de Dieu et à la résurrection, se formaient une imagination analogue, concevant les apparitions de la justice divine comme intermittentes et le réveil des justes comme un miracle directement opéré par Dieu. Cela valait mieux assurément que les sophismes du Phédon. L’infinité de l’avenir noie bien des difficultés. Si Dieu existe, il doit être bon, et il finira par être juste. L’homme serait ainsi immortel dans l’infini, à l’infini. Les deux grands postulats de la vie humaine, Dieu et l’immortalité de l’âme, gratuits au point de vue du fini où nous vivons, sont peut-être vrais à la limite de l’infini.

Le temps, en effet, n’existant que d’une manière toute relative, un sommeil d’un décillion d’années n’est pas plus long qu’un sommeil d’une heure. Le paradis n’existe pas ; dans un décillion d’années, il existera peut-être. Ceux qu’une tardive justice y replacera croiront être morts de la veille. Comme dans la légende du moyen âge, en palpant leur lit d’agonie, ils le trouveront encore chaud. Avoir été, c’est être. La successivité est la condition absolue de notre esprit ; mais, dans l’objet, la successivité et la simultanéité se confondent. À ce point de vue, un feu d’artifice est éternel. Mon petit-fils, qui a cinq ans, s’amuse tellement à la campagne qu’il n’a qu’une tristesse, c’est de se coucher. « Maman, demande-t-il à sa mère, est-ce que la nuit sera longue aujourd’hui ? » Quand, en présence de la mort, nous nous demandons : « Cette nuit sera-t-elle longue ? » nous ne sommes pas moins naïfs.

Ici le mystère est absolu ; nous sentons bien en nous la voix d’un autre monde ; mais nous ne savons quel est ce monde. Que nous dit cette voix ? Des choses assez claires. D’où vient cette voix ? Rien de plus obscur. Cette voix se fait entendre à nous dans des attraits inexpliqués, des plaisirs impalpables, des petits airs de farfadets,