passa pour un impie. La rage de l’Église contre les fondateurs de l’ordre nouveau, Copernic, Giordano Bruno, Galilée, fut de même assez conséquente. Le petit monde sur lequel l’Église avait régné, avec ses dogmes restreints à la terre, était brisé sans retour. Les vues plus modernes sur les âges de la nature et les révolutions du globe, en ouvrant à l’homme la perspective de l’infini du temps en arrière, ont eu le même résultat, d’une façon encore plus démonstrative.
On ne reconstituera pas les anciens rêves. Si la loi du monde était un fanatisme étroit, si l’erreur était la condition de la moralité humaine, il n’y aurait aucune raison pour s’intéresser à un globe voué à l’ignorance. Nous aimons l’humanité, parce qu’elle produit la science ; nous tenons à la moralité, parce que des races honnêtes peuvent seules être des races scientifiques. Si on posait l’ignorance comme Rome nécessaire de l’humanité, nous ne voyons plus aucun motif de tenir à son existence. L’humanité qu’appellent de leurs vœux nos réactionnaires serait si insignifiante que j’aimerais autant la voir périr par anarchie et manque de moralité que par sottise. Le retour de l’humanité à ses vieilles erreurs, censées indispensables à sa moralité, serait pire que son entière démoralisation.
Il faut donc en prendre notre parti, et, dans nos vues sur l’univers, éviter le ridicule des provinciaux qui, ne voyant rien au-delà de leur clocher, s’imaginent que tout le monde s’inquiète de leurs affaires, que le roi n’a de souci que pour leur petite ville, que Dieu même a une opinion sur les petites coteries qui la divisent. L’humanité est dans le monde ce qu’une fourmilière est dans une forêt. Les révolutions intérieures d’une fourmilière, sa décadence, sa ruine, sont choses secondaires pour l’histoire d’une forêt. Que l’humanité sombre faute de lumières ou de vertu, qu’elle manque à sa vocation, à ses devoirs, des faits analogues sont arrivés mille fois dans l’histoire de l’univers. Gardons-nous donc de croire que nos postulats soient la mesure de la réalité. La nature n’est pas obligée de se plier à nos petites convenances. À cette déclaration de l’homme : « Je ne peux être vertueux sans telle ou telle chimère, » l’Éternel est en droit de répondre : « Tant pis pour vous. Vos chimères ne sauraient me forcer à changer l’ordre de la fatalité. »
Ce qui affaiblit encore les raisonnemens a priori sur ce point, c’est que, parmi les postulats de l’humanité, il y en a de notoirement impossibles. Il faut bien remarquer que le dieu que postule la plus grande partie de l’humanité n’est pas le dieu situé à l’infini, dont nous admettons l’existence comme possible. Ce dieu-là est trop éloigné pour que la piété s’y attache. Ce que veut le