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quelle était chargée de distribuer. Pendant les dix années qui venaient de s’écouler, l’art français avait produit en tout genre des œuvres assez considérables pour que les juges, appelés à signaler les meilleurs travaux accomplis, pussent rendre leurs arrêts sans forcer le sens d’aucune partie du décret promulgué. Dira-t-on qu’un certain jour pourtant ils parurent accommoder un peu complaisamment les prescriptions du texte officiel aux exigences politiques du moment ? En désignant le Sacre de Napoléon peint par David comme le tableau représentant le mieux « un sujet honorable pour le caractère national, » ne risquaient-ils pas de confondre trop volontiers l’éclat de la gloire impériale avec les mérites inhérens au génie français et aux belles actions qu’il inspire ? Soit ; mais, sans parler de l’incontestable valeur pittoresque de l’œuvre, il convient de faire remarquer que le peintre que l’on récompensait ainsi avait concouru sans succès pour un autre grand prix, — celui qui était réservé « au meilleur tableau d’histoire, » et que l’on avait décerné à la Scène du déluge peinte par Girodet, de préférence même au tableau des Sabines. Comment, à moins d’une iniquité flagrante, eût-il été possible de s’obstiner à ne pas inscrire le nom de David sur la liste des lauréats, et de sacrifier une seconde fois le chef reconnu de l’école à quelqu’un de ses élèves, moins savant en réalité et moins justement célèbre que lui ?

En dehors de la peinture au surplus, il ne pouvait y avoir dans le travail du jury matière a équivoque ou à hésitation pour le jury lui-même, ni, dans les résultats de ce travail, occasion de surprise pour le public. Des dix grands prix destinés aux artistes, sept, il est vrai, furent décernés à des membres de l’institut par leurs propres confrères ; mais serait-il venu à l’esprit de personne de soupçonner dans les jugemens rendus quelque parti-pris de laveur, quelque arrière-pensée de camaraderie, alors que les membres de la quatrième classe récompensés étaient un musicien comme Méhul, un sculpteur comme Chaudet, un graveur comme Bervic ? Pour que les choses se passassent différemment, il eût fallu, — ou que les membres de l’Institut fussent, en raison de leur titre même, préalablement exclus du concours, ce qui en aurait infailliblement abaissé le niveau, — ou bien qu’ils n’eussent figuré parmi les concurrens qu’à la condition de ne pas siéger parmi les juges, ce qui n’aurait pas manqué d’affaiblir l’autorité morale de ceux-ci et les garanties qu’ils devaient offrir, au point de vue de la compétence et de l’expérience personnelles.

De nos jours, on a quelquefois dans des circonstances analogues, — à la suite de certaines grandes expositions par exemple, — essayé de faire prévaloir cette doctrine, plus démocratique que de raison, de l’inhabileté des maîtres à recevoir les récompenses qu’ils