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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/763

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avaient eux-mêmes la mission de décerner. On a cru sauvegarder par là leur dignité, en même temps que les intérêts de la justice ; on n’a réussi en réalité qu’à servir la cause de la médiocrité ou, tout au moins, des talens secondaires, sur lesquels il a bien fallu se rabattre, à défaut des talens supérieure qui se trouvaient légalement mis en interdit. Les mesures prises pour l’organisation et le jugement des concours décennaux étaient à la fois plus larges et plus libérales. Elles procédaient d’une confiance plus fière dans l’indépendance des artistes, d’un respect plus judicieux des droits acquis, et il est permis de regretter que depuis lors on ait paru craindre d’en renouveler les témoignages et d’en continuer la tradition.

Quant à l’institution même des prix décennaux, on peut regretter aussi qu’elle n’ait pas été maintenue, à la durée près de l’intervalle entre les concours qu’il eût convenu peut-être de prolonger. A ne considérer ici que la fonction spéciale confiée à la quatrième classe et sans parler des tâches également utiles que les autres classes de l’Institut étaient appelées à remplir, il y avait dans cette consécration solennelle des plus belles œuvres produites en France depuis un certain nombre d’années, il y avait dans ces récompenses nationales décernées par des juges autorisés entre tous un puissant encouragement pour les artistes et, pour le public, un enseignement d’autant plus sûr qu’il était plus indépendant des petites querelles de parti ou des influences de la mode. Sans doute, les chefs-d’œuvre ne sauraient naître par ordre, à un moment donné ; aux années fécondes peuvent succéder les années stériles ; mais, dans notre siècle et dans notre pays, le risque n’eût pas été grand de ne se trouver, au terme du délai fixé, qu’en face de travaux d’une importance insuffisante ou d’une valeur contestable. Si le concours jugé en 1810 s’était, depuis cette époque, rouvert trois ou quatre fois, croit-on que, — sans compter les maîtres qui honorent présentement l’école française, — Prud’hon et Géricault, Ingres et Delacroix, plusieurs autres encore, depuis le peintre de l’Hémicycle de l’école des beaux-arts jusqu’au peintre de la Frise de Saint-Vincent-de-Paul et depuis celui-ci jusqu’à Baudry, n’eussent pas mérité à leur tour la haute distinction obtenue par quelques-uns de leurs devanciers ? Eût-il été plus difficile d’apprécier les titres et moins juste de couronner les ouvrages de Cherubini et de Boieldieu, d’Hérold et d’Auber ? de reconnaître dans Rude un sculpteur de premier ordre et d’inscrire successivement à côté de son nom ceux de Pradier et de David d’Angers, de Duret et de Barye ? Enfin, dans les monumens élevés à Paris par Huyot ou par Debret, par Lesueur ou par Duban, par Duc ou par Lefuel, et, en province, par Vaudoyer, Questel, Espérandieu, — dans les planches dues au burin de Desnoyers ou au burin, plus savant encore, de