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LA
STRATEGIE NAVALE


I

Il y a une stratégie navale. On n’en pouvait douter à la fin du siècle dernier, dans ce brillant état-major qui dirigea les opérations de la guerre de l’indépendance américaine. Quinze ans plus tard, en exil, les survivans de nos chefs d’escadre observaient, impuissans, les belles combinaisons qui permirent à l’Angleterre de dominer les mers, de bloquer nos côtes, et cependant de présenter toujours sur les champs de bataille que nous lui offrions des forces égales aux nôtres.

Depuis les grandes luttes du commencement de ce siècle, il n’y a plus eu de guerre exclusivement maritime, et les révolutions qui se produisent dans le matériel naval absorbent à ce point l’attention de nos officiers que la stratégie des flottes semble tombée dans un injuste oubli. Comment s’en étonner ? N’est-on pas allé jusqu’à contester qu’il pût y avoir encore des armées navales ? Les grands navires ne devaient-ils pas disparaître devant un adversaire minuscule, le torpilleur, devant un engin formidable et mystérieux, « l’arme des faibles, » la torpille ?

L’expérience a fait justice de ces prétentions : de cruels accidens sont venus rappeler à tous des lois que la nature ne laisse pas enfreindre ; on a vu qu’un exact équilibre ne pouvait se produire entre la résistance, si promptement limitée, du petit navire et la