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aujourd’hui, car aujourd’hui n’est jamais aussi différent d’hier que notre orgueil cherche à nous le persuader ; il en serait de même, dis-je, et l’Atlantique nord verrait des divisions de grands croiseurs se disputer les grandes routes de navigation et combattre, à quelques centaines de milles au large, pour la liberté des atterrissages. — Dans cette lutte, encore une fois, sur un théâtre d’opérations ainsi circonscrit, l’avantage finirait toujours par rester au nombre.

Saluons cette marine mixte qui s’en va, ces engins maniables et robustes qui pouvaient seuls nous permettre de suivre sur les mers lointaines les grands exemples des Lamotte-Piquet, des Linois, des Lhermitte, des Allemand. C’était la voile qui, donnant aux frégates de ces habiles officiers une autonomie que n’auront jamais les navires mus exclusivement par la vapeur, favorisait les longues recherches, les patientes investigations, les combinaisons savamment mûries. C’était la voile encore qui aurait permis à nos croiseurs mixtes de se maintenir longtemps au large et de réserver pour la poursuite ou pour le combat leur précieuse provision de combustible : or, si nos grands croiseurs sont devenus des cuirassés, nos croiseurs légers deviennent à leur tour des éclaireurs d’escadre, dont la puissance effective et le rayon d’action paraissent sacrifiés à la pénible recherche des très grandes vitesses.

La conclusion s’impose : sans renoncer à faire au commerce ennemi tout le mal que nous pourrons, nous devons nous pénétrer de cette idée que la guerre des côtes l’emporte définitivement sur la guerre du large, les combats d’escadre sur les rencontres isolées.

Ce sont des opérations rapides, des coups vigoureux qu’il nous faut aujourd’hui ; l’esprit public s’y prête et nos engins l’exigent : la stratégie navale y trouve, d’ailleurs, l’application de ses lois essentielles… Souhaitons seulement que, pour y satisfaire, la résistance et la durée de notre matériel puissent rester au niveau de sa complication.


V

Nous avons reconnu déjà que l’une des bases de la stratégie navale est la parfaite connaissance des moyens d’action maritimes de ses adversaires éventuels.

A défaut d’un examen approfondi des flottes de nos voisins et de l’organisation de leurs défenses côtières, étude qui nous entraînerait fort loin, nous nous contenterons d’une esquisse rapide des traits caractéristiques de la puissance maritime de l’Angleterre et des nations qui forment la triple alliance.

Occupons-nous d’abord de celles-ci : on sait qu’après avoir porté