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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/793

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ses navires. A neuf heures du soir l’étendard aux fleurs de lis ne flotte plus que sur les poupes fracassées du Tonnant et de l’Intrépide ; le Tonnant va succomber, lorsque l’Intrépide, qui a conservé quelques lambeaux de voiles, passe sur son avant, lui donne un grelin et s’éloigne du champ de bataille, remorquant les glorieux débris du vaisseau amiral.

La flotte anglaise, absolument désemparée, laissait échapper les plus beaux trophées de sa victoire.

Quand les deux vaisseaux français rentrèrent, quelques jours plus tard, dans la rade de Brest, M. de l’Etanduère, dont le vaisseau avait pu se constituer une mâture de fortune, voulut cependant que l’Intrépide le prit une seconde fois à la remorque, reconnaissant ainsi qu’il devait son salut au dévoûment et à l’habileté de M. de Vaudreuil : touchante délicatesse et bien digne de ces deux vaillans cœurs !

Faut-il rappeler enfin que c’est pour assurer l’arrivée d’un grand convoi de blés d’Amérique, impatiemment attendu dans nos ports, que la Convention fit sortir de Brest l’armée navale de Villaret-Joyeuse et la jeta sur la flotte de lord Howe, malgré l’infériorité de son organisation, malgré l’ignorance de ses équipages, malgré la profonde incapacité de quelques-uns de ses capitaines, nommés par la faveur des clubs révolutionnaires ?

Assurément, la victoire resta le 13 prairial et devait rester à la flotte la mieux organisée, à l’amiral le plus expérimenté, enfin à un corps d’officiers qui avait conservé les traditions de la guerre d’Amérique ; toutefois, notre défaite fut honorable, et nous n’aurions même laissé aucun vaisseau entre les mains de nos habiles adversaires si le virement de bord signalé par Villaret à la fin de la journée avait été ponctuellement exécuté par toute son armée navale ; cette manœuvre, qui avait pour but de recueillir dix de nos vaisseaux absolument hors d’état de se mouvoir, n’en sauva que quatre, et l’armée anglaise put quitter le champ de bataille en emmenant les six autres.

Mais ce qu’il faut reconnaître impartialement, c’est que l’avantage stratégique nous restait et que l’objectif essentiel de la sortie de Villaret-Joyeuse était atteint, puisque les Anglais, très maltraités, laissaient le passage libre à notre convoi. Le surlendemain du 13 prairial, en effet, cette flotte marchande traversait le champ de bataille où avait péri le Vengeur du peuple.

Ainsi, on le voit bien par ces exemples, malgré les aptitudes particulières de la marine à voiles pour les croisières, peu à peu, en raison même de la formation de ces grands convois, la guerre d’escadre se substituait, pour leur défense comme pour leur attaque, à l’ancienne guerre de course : il en serait encore de même