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gasconnades. Carnot et Prieur de la Côte-d’Or furent adjoints au comité le 14 août. Carnot était pur et effacé ; il paraissait modeste ; il n’avait pas l’allure militaire. La Convention l’accepta sans méfiance. Robespierre le subit. Carnot considérait que la révolution ne pouvait pas reculer sans s’anéantir. Son idéal républicain lui voilait les horreurs de la république. Dans le péril national, il n’envisagea que les nécessités de la défense. Il se renferma dans son rôle, se fit une sorte de stoïcisme d’Etat et s’imposa, comme un devoir de sa charge, cette capitulation de son humanité : laissant les terroristes guillotiner, pourvu qu’ils le laissassent défendre la France. Robespierre et Carnot vécurent ainsi près d’une année côte à côte, s’exécrant davantage, Robespierre à mesure que Carnot rendait plus de services ; Carnot, à mesure que Robespierre commettait plus de crimes. « Je m’étais mis, rapporte Carnot, en position de l’appeler tyran toutes les fois que je lui parlais. » — « Ta tête, lui répondit un jour Robespierre, tombera au premier revers de nos armées ! — Si je pouvais seulement, avouait-il à un de ses confidens, arriver à comprendre quelque chose à ces maudites affaires militaires, afin d’être en état de me débarrasser de cet homme insupportable ! »

Ils ne faisaient guère que se coudoyer et ne travaillaient ensemble que dans les formalités. Le comité, ayant réduit les ministres à l’emploi de commis aux écritures, fut très vite débordé par les affaires. Le travail se divisa par la force des choses, et se divisa de plus en plus par le jeu même de l’institution et par l’opposition des caractères. Chacun y trouva son compte, les uns pour leurs passions, les autres pour leur conscience. Les triumvirs s’attribuèrent la haute politique révolutionnaire, les grands décrets de proscription et de massacres : c’est de leur officine que partirent les mesures chimériques ou atroces, improvisées au jour le jour, sous le coup de la colère ou de l’effroi, sous les suggestions de la jalousie ou dans le délire de la fièvre. Robespierre, dans les grandes occasions, Barère dans les communes, exposaient ces propositions à la tribune, les rattachant, après coup, à de vagues théories de nivellement humanitaire, et masquant de prétextes hypocrites l’arbitraire de leur tyrannie. Billaud et Collot suivaient la correspondance terroriste des départemens. Hérault, par calcul, Prieur de la Marne, par aptitude, se chargeaient volontiers des missions à l’intérieur. Jean-Bon prit la marine : Lindet et Prieur de la Côte-d’Or, les approvisionnemens ; Carnot, l’organisation et les mouvemens des armées. Ils eurent des bureaux sous leurs ordres pour la levée et le rassemblement des troupes de terre, pour la flotte, pour les manufactures d’armes, pour les subsistances militaires et les munitions.