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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/917

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fit conduire aux bureaux de la police, sur le quai des Orfèvres. Il lui suffisait d’avoir échappé à l’écrou du Luxembourg ; il ne tenait pas à être libre, à l’être surtout au milieu de la commune. Il lui convenait de conserver son rôle de victime. Si quelque coup de force se tentait pour sa délivrance, il entendait en laisser les risques à ses partisans pour en exploiter ensuite les avantages avec d’autant plus d’âpreté que sa vertu en aurait été moins ternie. À cette heure suprême de sa carrière, il subtilisait encore et raffinait sur les ménagemens de sa réputation et de sa vie. Il ne trouvait en lui-même d’autres ressources que les équivoques. Il lui parut que la police formait un milieu entre la Convention et la commune, et que ce serait la place convenable pour y attendre, en sûreté, les suites de la journée. Il y arriva vers huit heures. La commune, cependant, s’occupait de le sauver, surtout de se défendre elle-même. Elle nomma un comité d’action de neuf membres, enjoignit à tous les agents municipaux de n’obéir qu’à ce comité et envoya Coffinhal délivrer Robespierre. Coffinhal l’enleva, en quelque sorte, et le força à venir prendre le commandement des hommes qui se disposaient à se battre pour sa cause. A l’Hôtel de ville, Robespierre retrouva son frère, Couthon, Saint-Just. Il n’avait plus à faire qu’acte de présence et effort d’attitude. Ses complices se chargeaient de déployer l’énergie qui lui manquait.

Les conventionnels apprirent très vite ces événemens. Ils se jugent condamnés s’ils attendent l’attaque. Ils protestent, ils jurent, dans la confusion, de mourir à leur poste. Tandis que le chœur, qui remplit la scène, développe ces intermèdes de tragédie, les meneurs des comités avisent à l’action. Ils proposent et font décréter la mise hors la loi des deux Robespierre, de Couthon, de Saint-Just, du maire de Paris, des membres de la commune. Ils expédient, dans les sections, des commissaires pour y porter ce décret, l’expliquer et appeler la garde nationale à la défense de l’assemblée. Ils nomment Barras commandant en chef de la force armée de Paris. C’est un ancien officier qui poursuit dans la révolution une carrière d’aventures commencée sous l’ancien régime. Bien né, de formes polies, l’esprit résolu, la main rude, homme de coups de bourse et de coups d’Etat, bon à enlever un prince, à mettre à sac un couvent, à conquérir une colonie, à écraser une émeute, à disperser une assemblée, selon l’intérêt du moment. Il recrute une poignée de montagnards déterminés, comme lui, à jouer à fond la partie. Ces commissaires se répandent dans les sections. Ils ne se mettent point en frais d’imagination ni d’éloquence, ils accusent tout crûment Robespierre de royalisme. Si monstrueuse