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payaient à Tours. On disait à Braye en manière de proverbe : « Nous sommes du bon Dieu de Poitiers et du diable d’Angers. »


D’ailleurs les voyages devaient peu tenter la dame de Richelieu. C’est à peine si elle sortait de chez elle pour aller dans sa propre famille, à Parthenay, à la Meilleraye où, au dire d’un contemporain, elle eût trouvé « bonne compagnie. » Les chemins n’étaient pas sûrs, et pour bien des raisons, on n’avait pas le cœur au divertissement. Durant toute cette fin du XVIe siècle, les malheurs publics s’ajoutaient aux malheurs privés et les aggravaient.

Il y avait trente ans, pour le moins, que cette région n’avait pas respiré. Restée catholique, mais prise dans le triangle protestant de La Rochelle, Châtellerault, Saumur, elle était le continuel lieu de passage et de rencontre des troupes des deux partis. Tous les genres d’horreurs, suites d’une guerre civile, où chaque village, chaque famille avait dû se prononcer, pesaient sur elle.

Les personnes âgées pouvaient raconter aux nouveaux venus les premiers progrès des hérétiques, les prédications secrètes de Calvin dans les grottes de Croutelles, les premiers psaumes, les premiers massacres. Puis, c’étaient les grands sièges de Poitiers, en 1562 et en 1569, où deux capitaines du nom de Richelieu s’étaient distingués par leurs exploits et par leur cruauté ; puis les diverses fortunes du château de Lusignan, sur les ruines récentes duquel planait encore le souvenir de la fée Mélusine ; puis les grandes batailles de Jarnac et de Montcontour, dont la canonnade, entendue de loin, retentissait dans les cœurs.

Au lendemain de Montcontour, l’amiral de Coligny était venu camper à Faye-la-Vineuse. Ses troupes y avaient commis les plus effroyables excès. Ces souvenirs tragiques hantent encore aujourd’hui la mémoire des habitans. Un champ voisin de Paye s’appelle la Plaine des morts et l’on dit que c’est en souvenir d’un combat d’arrière-garde qui fut livré à cet endroit même. Les troupes de Coligny y auraient été vaincues par les troupes royales, et les fuyards massacrés par les paysans exaspérés.

Jusqu’à la fin du siècle, la contrée souffre tout ce que ce genre de guerres réserve de douleurs aux gens « du plat pays. » C’est un perpétuel mouvement de troupes, de pionniers, de voituriers, de marchands d’armée ; ce sont les levées promptes des hommes d’armes, les courts séjours des maris et des pères, les continuelles alertes, la guerre et l’embuscade de bourg à bourg, de château à château, de maison à maison.

« En ce temps-là, écrit un contemporain sous l’année 1574, n’étoit question que de briganderie, de manière que personne n’osoit se mettre en chemin. » Deux ans après : « En ce temps-là,