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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/939

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populaire est à peine esquissée, juste assez pour faire naître un regret. J’aimerais retrouver ici les classiques d’Epinal, les naïves légendes de Geneviève de Brabant et du roi Dagobert, que les joueurs d’orgue colportaient dans les campagnes, au temps de mon enfance ; je voudrais savoir si ces enluminures me donneraient encore, pour un sou, de plus vives joies et de plus longues pensées que l’Angelus n’en donne à ses possesseurs, pour 600,000 francs. Je crains que l’écarlate et l’azur n’aient pâli sur les manteaux de la dame et du roi ; je crains que tout n’ait pâli. Après l’affiche, l’imagerie aurait pu nous montrer comment le courant utilitaire s’est emparé de l’amusement du peuple pour attiser les convoitises, pour exploiter les passions. On ne colorie plus à Epinal ces contes merveilleux qui ne servaient à rien ; mais il y a dans Paris une grande usine qui tire le bonheur public sur quatre clichés et en répand les épreuves à des millions d’exemplaires ; dans les compartimens symétriques des quatre images, le même industriel grave avec la même conviction les bienfaits de la monarchie, les bienfaits de l’empire, les bienfaits de la république, les bienfaits futurs du général. Avez-vous quelquefois songé à ce que doit être l’état d’esprit de cet imagier éclectique, de ce Warwick de la lithographie qui tient boutique d’espérances pour tous, qui fabrique pour ses cliens antagonistes, à vingt francs le mille, des promesses et des accusations pareilles ? Si l’illusion féconde habitait dans son sein, je serais surpris.

Nous entrons dans une division nouvelle. Qu’est-ce encore que tous ces bustes, et cet aliéné de cire ? Les sujets de M. Lombroso, qui nous poursuivent ? On se rassure en reconnaissant le rire de Mme Samary, le sourire de Mlle Bartet. Pour la statuette de cire, dans la cage de verre au centre de la salle, c’est Hamlet qui a posé complaisamment, sous les traits de M. Monnet-Sully. L’Homo industriosus, fatigué de ses longs travaux, se repose à la Comédie-Française et à l’Académie nationale de musique. Tout célèbre ici les grandeurs de ces deux institutions d’état ; elles occupent, dans l’histoire des arts libéraux, un espace proportionnel à la place que le théâtre a prise dans notre vie sociale. Les visiteurs se nomment, avec une joie communicative, s’ils sont de Paris, avec un rien de fierté, s’ils sont de la province, les sociétaires de la Comédie dont les portraits et les bustes embellissent ces panneaux. C’est un sentiment assez étrange, et qui mériterait l’étude du moraliste, cette satisfaction affectueuse de la foule, quand elle reconnaît les traits d’un acteur favori. Le physiologiste n’y verra peut-être qu’une habitude réflexe de nos muscles faciaux, accoutumés à marquer des impressions hilares chaque fois que cet acteur entre en scène. Mais on constate le même contentement chez ceux qui découvrent