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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/958

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Pyrénées quelques mois de trêve qui ne laissent pas d’avoir été achetés par bien des efforts de tactique de la part du ministère.

Le fait est que le ministère de la reine Christine n’est pas arrivé sans peine à se donner quelque temps de répit, et que cette dernière session qui vient de finir n’aura été qu’une série de débats violens et irritons. Le chef du cabinet, M. Sagasta, avait cru, il est vrai, se tirer d’embarras par un subterfuge qui lui permettait de se délivrer d’un président du congrès, M. Martos, devenu pour lui un adversaire gênant et dangereux. Il avait clos brusquement la session régulière pour ouvrir presque aussitôt une session nouvelle, et en créant ainsi la nécessité de l’élection d’un nouveau président, il s’était donné le moyen d’éliminer M. Martos. C’était un acte d’autorité passablement hasardeux et une manière assez sommaire de se débarrasser d’un adversaire menaçant. En réalité, le président du conseil en a été pour sa tactique, cela n’a servi à rien. Cette session nouvelle, ouverte sous la présidence de M. Alonso Martinez, n’a duré que trente-quatre jours, et elle n’a pas été moins tourmentée, moins stérile que la première. Le ministère n’a pu faire voter, même avec sa majorité docile, ni le budget, ni le suffrage universel, gage de son alliance avec le parti démocratique, ni les autres réformes qu’il a mises dans son programme plus ou moins libéral, et il n’a pu échapper aux interpellations, aux assauts réitérés d’une opposition implacable. Le lendemain comme la veille, M. Sagasta a retrouvé devant lui une coalition menaçante, composée de conservateurs, de libéraux dissidens, de protectionnistes, de tous les mécontens, de tous les adversaires d’opinions ou d’intérêts. Il a eu à soutenir le choc du président évincé, M. Martos, qui ne lui a pas ménagé les traits acérés, les coups meurtriers, du chef du parti conservateur, M. Canovas del Castillo qui, même dans ses sévérités, a su garder la mesure d’un homme d’état destiné peut-être à recueillir avant peu le pouvoir. Il a rencontré sur son chemin et le général Lopez Dominguez, et le général Cassola, et M. Romero Robledo, et M. Gamazo, le défenseur des intérêts agricoles. Ce n’est pas qu’entre tous ces hommes du parlement il y ait un accord complet d’opinions. Ils sont divisés, c’est certain ; ils ne le sont guère plus que le ministère lui-même, et il y a de plus ceci de caractéristique : tous ces chefs d’opposition qui poursuivent sans trêve le ministère sont des hommes d’esprit ou d’éloquence ; le président du conseil a une faiblesse qu’il déguise à peine sous ses habiletés de tacticien : il est seul sur la brèche, il est plutôt compromis que secondé par ses collègues.

Aujourd’hui, si le président du conseil, tenu en échec dans une position difficile, toujours contestée, n’a pu rien faire, il a du moins réussi à vivre, à se mettre en sûreté pour quelque temps par le congé donné aux chambres. M. Sagasta, qui est un habile homme, a la ressource de recourir, dans l’intervalle, à son invariable expédient, de renouveler