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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/959

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encore une fois son ministère, d’essayer de diviser ses adversaires, d’atténuer certaines hostilités. Il a trois mois devant lui pour ce travail ; mais les procédés de gouvernement de M. Sagasta commencent un peu à s’user, et les chefs d’opposition qui le menacent ne semblent pas disposés à désarmer ; ils paraissent, au contraire, tout en prenant le repos et les plaisirs de la saison, attendre le moment de recommencer la lutte. Les ministres sont à Saint-Sébastien, les chefs de l’opposition sont à Biarritz : ils se retrouveront à la session prochaine. Et comme s’il n’y avait pas eu assez de difficultés dans cette fin d’une session laborieuse et troublée, le ministre des affaires étrangères, le marquis de la Vega y Armijo, a cru devoir jeter dans les conflits des partis une affaire aussi bizarre qu’imprévue. Il a entrepris de mettre en jugement, après l’avoir frappé d’une révocation assez brutale, un homme qui a longtemps servi son pays dans la carrière diplomatique, qui a été pendant quatorze ans ambassadeur à Berlin, le comte de Benomar. Pourquoi le comte de Benomar est-il poursuivi ? Il est accusé d’avoir communiqué, il y a quelques années, à M. Canovas del Castillo, qui venait de quitter la présidence du conseil, un mémoire ou exposé de l’état des relations de l’Espagne avec l’Allemagne pendant son ambassade. Ce n’était pas même une indiscrétion sensible, puisque la communication s’adressait à un homme qui venait de diriger pendant des années la politique de son pays, qui connaissait tous les secrets de la diplomatie espagnole. M. de Benomar est de plus accusé d’avoir tenté une sorte de rébellion en essayant de se maintenir dans son ambassade lorsqu’il était déjà rappelé. Au fond, il a été révoqué parce qu’on avait besoin de sa place, et il est poursuivi aujourd’hui parce qu’on a besoin de justifier sa révocation.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que M. de Benomar, au moment de son rappel, a été l’objet d’attentions presque affectées de la part du chancelier de Berlin et de l’empereur lui-même, comme si l’un et l’autre avaient voulu le dédommager d’une disgrâce imméritée. C’est peut-être ce qui a contribué à irriter encore plus le ministre des affaires étrangères de Madrid. Le fait est que, dans ces sévérités et ces poursuites exercées par ressentiment à l’égard d’un diplomate qui a déjà une longue carrière, il n’y a, d’après toutes les apparences, rien de sérieux. Il n’y a qu’une maladresse du ministre des affaires étrangères, qui a voulu faire un acte d’autorité. Le président du conseil, M. Sagasta, qui a déjà assez de difficultés, se serait probablement bien passé de cette mauvaise affaire, qui peut être pour lui un embarras de plus le jour où les cortès se rouvriront à Madrid.


CH. DE MAZADE.