dans ce lieu solitaire et battu par les flots, et la seule réponse que me suggéra mon esprit fut de celles auxquelles on redoute de s’arrêter. Un naufragé, dans tous les cas, venu de quelque terre lointaine et riche comme les vieux mariniers de l’Armada, peut-être, à moins qu’il n’appartînt à ma propre race et qu’il n’eût péri en vue de la fumée de sa demeure. Je me découvris, avec le regret que notre religion n’autorisât pas en outre quelque prière pour ce mort étranger. Je savais bien que, si ses os devaient reposer là, mêlés au sol d’Aros, jusqu’à l’heure où la trompette sonnerait, son âme impérissable était loin, parmi les ravissemens ou les tortures de l’éternité ; n’importe, j’éprouvais comme une crainte qu’il ne fût près de moi, debout, à garder son sépulcre et à s’attarder sur la scène de son lamentable sort.
Ce fut avec émotion que je me détournai de cette tombe pour considérer le spectacle presque aussi triste que donnait le brick naufragé. Sa proue s’élevait au-dessus des flots ; il était brisé en deux, un peu en arrière du mât de misaine, quoique de fait il n’eût pas de mâts, l’un et l’autre ayant été rompus dans la catastrophe. Comme la pente de la grève était très brusque, le bossor se trouvait beaucoup plus bas que la poupe, avec une vaste fracture qui baillait dans l’intervalle ; on voyait à travers la pauvre coque délabrée. Le nom était fort effacé, je ne pus discerner au juste si le brick s’était nommé Christiania, d’après la cité norvégienne, ou Christiana, d’après la femme de Christian, dans ce vieux livre le Pilgrim’s Progress. Sa construction le faisait reconnaître pour étranger ; il avait été peint en vert, autant que la couleur fanée qui s’écaillait par lambeaux permettait d’en juger. Un débris du grand mât gisait à côté, à demi enseveli dans le sable. Impossible d’imaginer un plus misérable aspect ; le cœur serré, je regardais les bouts de corde qui pendaient encore alentour, ces cordages, si souvent maniés par les matelots actifs et bruyans, et l’écoutille par laquelle ils étaient montes et descendus, et ce pauvre ange sans nez, sculpté à l’avant, qui avait fendu tant de vagues.
Je ne sais si les scrupules mélancoliques qui m’assaillirent venaient du navire ou de la tombe, tandis que je restais là immobile, une main appuyée à la charpente démantelée. L’abandon des humains et même des pauvres vaisseaux jetés par le hasard sur des rivages étrangers s’emparait fortement de ma pensée ; profiter d’une si horrible mésaventure me paraissait maintenant chose lâche et sordide ; l’ambition que j’avais précédemment nourrie prit pour moi une apparence sacrilège ; mais, me souvenant de Mary, je me raffermis. Mon oncle ne consentirait jamais à un mariage imprudent ; jamais non plus, j’en étais sûr, elle ne se marierait sans son aveu ; il me fallait donc devenir riche pour ma femme. Je