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Romano n italiano lo volemo ! Les cardinaux français formaient la majorité d’électeurs ; ils renonçaient sincèrement à l’élection d’un nouveau pape français. On n’avait que deux cardinaux romains, Tibaldeschi, tout à fait sénile, et Orsini, trop jeune, et d’une famille trop dangereuse. Les cardinaux de Florence et de Milan tenaient à des cités suspectes à l’église. L’embarras était grand, la situation terrible. Les capitaines de quartiers entraient de force dans la chapelle du conclave et disaient, selon Froissart : « Baillez-nous un pape romain qui nous demeure, ou autrement nous vous ferons les têtes plus rouges que vos chapeaux ne sont. » Les français désignèrent alors, en dehors du sacré-collège, le vice-chancelier de l’église, Bartolomeo Prignano, archevêque de Hari, un prêtre austère et savant, client de la maison d’Anjou et qui pouvait rapprocher l’Italie et la France. Un premier scrutin fut favorable à Prignano. Il était environ minuit, le peuple criait toujours, se battait contre les gardes du conclave, entassait des matières incendiaires autour du Vatican, sonnait le tocsin dans tous les campaniles. Le second tour de scrutin donna à Prignano l’unanimité des suffrages, moins la voix d’Orsini. Celui-ci, par vengeance, fit courir sur la place de Saint-Pierre, pendant le souper des cardinaux, le bruit de l’élection de Tibaldeschi, et la populace joyeuse enfonça les portes du palais et monta à l’assaut du conclave pour adorer son pape romain. Les cardinaux, pâles d’épouvante, coiffèrent à la hâte d’une mitre pontificale le vieux Tibaldeschi, lui jetèrent une chape sur l’épaule, l’assirent tout tremblant sur le trône, et abandonnant ce pape de paille et le vrai pape caché, à demi mort de peur, dans une chambre de l’appartement pontifical, se dérobèrent, à la faveur du désordre, têtes nues, sine capis et capellis. Quand Tibaldeschi revint à lui, il avoua ingénument la tragi-comédie et nomma l’élu. Le peuple, irrité de cette trahison, put rejoindre quelques-uns des pères, et les traîna de force au conclave où ils confessèrent la supercherie et dénoncèrent le vrai pontife. Le tumulte fut tel alors qu’ils purent encore s’échapper du Vatican, les uns se sauvèrent au Saint-Ange, d’autres coururent éperdus hors des murs, dans la campagne. Le sang-froid des chefs de la commune fut le salut de l’église et de la ville. Le cardinal de Florence les convainquit de la validité de l’élection ; le peuple se remit de son émotion ; le nouveau pape était, après tout, un. Italien. Prignano demanda une troisième épreuve électorale ; les cardinaux réfugiés au Saint-Ange envoyèrent leur vote par écrit, ceux qui couraient dans l’agro romano revinrent l’un après l’autre à Saint-Pierre et donnèrent leur adhésion. Le 18 avril, jour de Pâques, Urbain VI était couronné selon les rites séculaires, et prenait possession du Latran.

Le schisme ne se fit point attendre longtemps. Urbain VI était