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contractée par les États-Unis envers la France, obligèrent Morris à repartir promptement pour la France. Il apprit à son retour que l’assemblée constituante avait adopté le principe d’une chambre unique et n’avait accordé au roi qu’un veto suspensif : « C’est, dit-il, aller à grandes guides vers l’anarchie et vers la pire des tyrannies, le despotisme d’une faction dans une assemblée populaire. » Ses amis, qui naguère le trouvaient trop aristocrate, commencent à s’inquiéter ; Lafayette lui raconte que ses gardes nationaux ne veulent pas monter la garde quand il pleut. Il compte sur eux, toutefois, pour défendre l’ordre : « Si les nuages qui s’abaissent en ce moment se dissipaient sans orage, Lafayette devra beaucoup à la fortune ; sinon, le monde devra lui pardonner à cause de ses intentions. Il ne veut de mal à personne, mais il a besoin de briller. » Peu de temps après, Morris prend Lafayette à part après dîner et lui dit ses sentimens sur la situation : « Il faut qu’il discipline immédiatement ses troupes et se fasse obéir ; la nation est habituée à être gouvernée et veut être gouvernée. S’il croit pouvoir la conduire par l’affection, il sera la dupe d’une illusion… Je le supplie, au milieu de la grande division des partis, de s’attacher à celui du roi, car c’est le seul qui puisse prédominer sans danger pour la nation. » Il a fréquemment, chez Mme de Flahault, des conférences avec Talleyrand sur les subsistances, sur les biens du clergé, sur la dette publique, sur toutes les questions et les personnes du jour. Il goûtait l’intelligence de l’évêque d’Autun et lui développait les principes généraux tendant à rendre une nation prospère : « Il était frappé, comme le sont toujours les hommes d’un vrai talent, quand on leur découvre la vérité vraie, et c’est ce qui, soit dit en passant, forme le principal charme de sa conversation. Il est si terriblement ennuyeux de tout expliquer à des esprits qui restent à moitié chemin, qui voient tout juste assez loin pour être tout troublés. » L’assemblée constituante faisait table rase, elle supprimait les parlemens, les provinces, les coutumes, elle créait tout à nouveau ; elle confiait le pouvoir législatif à une assemblée unique, l’administration des départemens à un conseil électif et à un directoire exécutif, celle du district et celle de la commune à des autorités de même espèce ; elle couvrait ainsi la France d’une multitude d’assemblées grandes ou petites élues par le peuple. Ce système nouveau semblait à Morris à la fois trop simple et trop compliqué : « Tout est sorti des gonds, écrivait-il à son frère Robert ; l’autorité exécutive n’est plus qu’un nom. Tout est électif, et, en conséquence, personne n’obéit. C’est une anarchie inimaginable,.. leurs literati, dont les têtes sont tournées par des notions romanesques prises dans des livres, qui sont placés trop haut pour regarder de près l’homme tel que