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pauvre financier. » Morris critique toutes ses mesures, la proposition de taxer les revenus au quart de leur valeur, l’extension de la Caisse d’escompte, la création des assignats. A défaut de Necker, qui pouvait prendre la direction des affaires ? Morris voyait constamment Lafayette ; mais celui-ci, pétri de bonnes intentions, n’avait aucun plan de conduite, il faisait du monde entier son confident, il demandait des conseils pour ne pas les suivre ; il avait été mis par Morris en rapport avec l’évêque d’Autun, qui avait des vues étendues ; mais il avait semblé lui faire une faveur en l’écoutant sans montrer de disposition à unir son action à la sienne. Ils étaient séparés par leurs qualités comme par leurs défauts. Morris, qui voyait Lafayette dans l’intimité, ne lui mâchait pas la vérité. Un jour que le roi s’était rendu à l’assemblée sans cérémonie et avait prononcé un discours qui avait été reçu avec de grands applaudissemens, Lafayette dit à Morris que, pour ce discours, il faudra qu’il donne au roi un sucre d’orge : « Je souris et lui dis qu’il n’y a plus de sucre d’orge à donner, qu’ils ont découpé le pouvoir exécutif de telle façon qu’il n’en reste plus rien pour le monarque. » Partout les officiers des nouvelles municipalités refusent de se servir de leurs pouvoirs pour le rétablissement de l’ordre ; l’armée est sans ordres ; les villes du nord de la France sont à la merci du premier ennemi qui les attaquera, l’anarchie est complète.

Le 17 février 1790, Morris partit pour la Hollande, afin d’y négocier un emprunt pour le remboursement de la dette américaine envers la France ; et de là il passa en Angleterre, où il avait à remplir une mission confidentielle donnée par Washington, notamment au sujet d’un traité de commerce à conclure entre l’Angleterre et les États-Unis. Il apprit, en dînant à l’ambassade de France, que, sur la motion de quelques membres de qualité, l’assemblée avait aboli les titres de noblesse, les armes, les livrées. « Faites mille complimens, écrit-il à Short, l’envoyé américain de Paris, à Son Altesse Royale (la duchesse d’Orléans) et à Mme de Chastellux. Je suppose qu’à mon retour à Paris j’aurai à apprendre de nouveaux noms pour la moitié de mes connaissances. » Il n’assista pas à la fête de la Fédération, il ne vit pas l’évêque d’Autun célébrer la messe au Champ de Mars et son ami Lafayette mettre son sabre sur l’autel. Il n’espérait rien de bon de cette nouvelle constitution à laquelle le roi et l’assemblée venaient solennellement de prêter serment. « A mesure que la révolution semblera approcher de son accomplissement total et que le nouvel ordre de choses paraîtra établi, des schismes éclateront parmi les révolutionnaires, car tous désireront leur part des bonnes choses que tous, en vertu des droits de l’homme, ont le droit de posséder… » — « Ceux qui font