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leur beauté qu’à la souplesse dont elles témoignent chez ces braves canuts. Ils courent après la plus mobile des fantaisies, celle de la mode : ils parviennent toujours à la ramener chez eux. Partout, si l’on prend les industries d’art à un certain niveau, l’Exposition atteste que notre goût est en progrès ; il est rare de rencontrer une défaillance choquante dans l’ameublement, la bijouterie, la décoration de toute nature. La science n’a jamais été plus sûre et plus générale, elle n’a jamais eu à son service un travail plus habile ; nos grands fabricans sont des critiques et des archéologues. Nous avons vu comment les tapissiers reproduisaient les chefs-d’œuvre des métiers d’Asie ; les céramistes font de même pour les faïences d’Orient, les orfèvres et tes ébénistes pour nos styles nationaux. Devant telle imitation achevée d’un meuble Louis XIV ou d’une pièce d’argenterie du dernier siècle, on se dit que les Boule, les Germain, les Roitiers signeraient sans hésiter les œuvres de leurs successeurs ; le malheur est que ceux-ci nous donnent seulement ce que les autres nous avaient déjà donné. Pour expliquer comment notre siècle à tous les styles et ne trouve pas le sien, il faudrait récrire à propos des arts du mobilier tout ce que nous suggérait l’architecture. Le phénomène est si évident, l’observation en est si banale, qu’en y insistant je répéterais ce qu’on a lu partout. S’il est, dans tous les ordres de production, un de nos contemporains chez qui le sens critique n’ait pas amaigri l’imagination, que celui-là jette la première pierre dans la rue du Sentier.

On pouvait espérer que l’Exposition, où tant de choses nouvelles se laissent deviner dans une brume d’aube, trahirait quelque effort d’ensemble vers ce style attendu. Il n’en est rien ; et à vrai dire, je ne l’attends guère là où on le cherche. S’il doit apparaître, il viendra d’en bas, des milieux où l’industrie est forcée à plus d’initiative par un plus grand bouleversement de ses habitudes. Nous nous sommes déjà expliqué sur ces thèses générales ; il est plus intéressant de chercher dans les sections françaises les protestations individuelles contre le statu quo. J’en voudrais signaler trois. Il y en a d’autres, sans doute, mais moins vigoureuses. Je prie les auteurs de ces dernières d’excuser mon silence à leur égard : dès le début, notre causerie s’est défendue d’être un catalogue. L’industrie parisienne voudra bien me pardonner de lui proposer en exemple deux provinciaux et un expatrié.

L’expatrié, c’était ce pauvre Lanseret, mort naguère en Algérie de l’usure prématurée du travail. On peut voir dans la section russe la collection de ses bronzes d’art ; il n’y a de russe ici que remplacement ; notre compatriote travaillait depuis quinze ans à Pétersbourg dans la maison française de M. Chopin. Mis en