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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/213

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présence d’une nature nouvelle, le jeune artiste s’en éprit et la comprit ; du métal qu’il modelait, il tira sans relâche les types pittoresques de l’Asie, hommes et chevaux cosaques, turcomans, bachibozouks. Je ne sais rien de supérieur comme audace de mouvement et traduction fidèle d’une vie particulière. Je n’accumulerai pas ici des descriptions qui fatiguent sans persuader ; un regard jeté sur quelques-uns de ces groupes, — et tout d’abord sur les deux fauconniers kirghiz campés à cheval devant la porte de la section, — permettra aux artistes de vérifier mes dires ; qu’ils veuillent bien refaire une promenade dans la galerie des bronzes, où les points de comparaison ne manquent pas, ils verront mieux ensuite ce que l’art a perdu par la mort de Lanseret.

Venons maintenant à l’atelier d’orfèvrerie religieuse, créé à Lyon par M. Armand-Calliat. On s’y propose une tâche ardue entre toutes : renouveler l’art le plus obstinément immobile, enchaîné qu’il est par des traditions inflexibles et par la routine de la clientèle spéciale qui le fait vivre, si c’est la vivre. Avant d’examiner l’œuvre de l’orfèvre lyonnais, il n’est pas inutile de passer en revue les spécimens de ce commerce, désolant pour l’art comme pour le sentiment religieux, que je n’hésite pas à appeler la camelote de piété. C’est le pire des poncifs, le poncif de sacristie. Depuis trente ans, M. Armand-Calliat travaille à ressusciter le cadavre ; il lui communique son âme, l’âme mystique et laborieuse qui leur fait un génie si personnel, dans la ville d’Ozanam et de Laprade, de Flandrin et de l’avis de Chavannes. Le maître a formé des ouvriers émérites, famille qui demeure fidèle à l’atelier de Fourvières, qui travaille là comme on travaillait il y a cinq siècles, unie sous la direction du chef dans la même foi religieuse et artistique. Il a adopté un style, le roman, dont il ne s’écarte jamais. De patientes études l’ont armé de toutes les ressources du métier ; il a étendu et diversifié l’emploi des émaux, des nielles, des ivoires. Mais surtout il est parti d’une idée bien simple ; il s’est dit qu’au lieu de réduire l’ornementation des vases sacrés à quelques motifs rebattus, toujours les mûmes, il fallait ouvrir les vies des Saints, et puiser à cette source intarissable les merveilleuses histoires, les symboles particuliers qui se dérouleraient sur les reliquaires, les ostensoirs, les calices, racontant la gloire du bienheureux auquel l’objet est dédié. Ce qu’a produit l’application de ce principe, on peut le voir dans les trente ou quarante pièces exposées cette année. Le reliquaire de Saint-Louis de Carthage a les dimensions d’un véritable monument, les deux figures principales suffiraient à la réputation d’un sculpteur. Sur des pièces de moindre importance, la vie du saint est un poème en action ; les figurines enlevées sur l’or à la base