ni différences, ni distinctions, ni degrés. De ces deux erreurs, la première se pratique ou plutôt se célèbre dans vos laboratoires ; je crois me souvenir que la seconde s’enseignait autrefois dans tous les Traités de logique ; mais ce n’en sont pas moins deux erreurs, — et il est aisé de le montrer.
La première ne tire pas à grande conséquence, et ; — soit dit sans blesser personne, comme d’ailleurs sans méconnaître la grandeur de la science, — il suffit que, depuis six mille ans, tant de progrès accomplis ne nous aient pas fait avancer d’un pas dans la connaissance de notre origine, de notre nature, et de notre fin. Or, aussi longtemps que la « Science » n’aura pas de réponse à ces questions, elle ne sera, comme les « religions » qu’elle croit avoir remplacées, que ce que Pascal appelle un « divertissement : » il veut dire, une manière de nous empêcher de penser aux seules questions qui nous intéressent, et de tromper le désespoir où nous plongerait autrement notre impuissance de les résoudre. Dans ces conditions, je ne crains guère que la science arrive jamais à cet empire universel qu’on lui promet toutes les fois qu’elle remplace les diligences par les chemins de fer ou la teinture de colchique par le salicylate de soude ; et, rassuré de ce côté, je jouis, comme il convient à un homme du XIXe siècle, des remèdes nouveaux qu’elle me procure. — quoique d’ailleurs on me dise qu’ils abrègent ma vie, — de ma puissance qu’elle augmente, des distractions dont elle m’accable, et des vastes horizons qu’elle m’entr’ouvre.
Mais l’autre erreur est plus grave. — Si nous pouvions, a-t-on dit, sortir de ce petit coin du monde où nous sommes enfermés, et nous transporter jusqu’à la source des choses, nous y saisirions, dans son unité féconde et lumineuse, la formule suprême qui gouverne à la fois l’évolution des planètes à travers l’espace et la circulation du sang dans nos veines, les mouvemens de ces grands corps dont l’énormité accable notre petitesse et les agitations de nos humbles fourmilières. — Je n’en sais rien, non plus que ceux qui le disent. Mais ce que je sais bien, en revanche, parce que chaque jour m’en apporte une preuve nouvelle, c’est que nous n’atteignons jamais que des vérités relatives ; c’est que la plupart de nos sciences particulières sont les unes pour les autres comme des « vases incommunicables ; » c’est enfin que la vérité n’est pas « une » pour nous, mais fragmentaire, multiple, et diverse. Il y a les vérités de l’ordre géométrique, qui nous donnent l’impression, ou l’illusion, peut-être, de la nécessité. Il y a les vérités de l’ordre physique, moins nécessaires déjà, dont on peut concevoir qu’elles fussent autres qu’elles ne sont. Car est-il nécessaire qu’un tel corps, par exemple, ait de l’affinité pour tel autre ? ou que les électricités de signe contraire s’attirent ? Les vérités de l’ordre naturel, à leur tour, sont plus contingentes encore, plus relatives, pour ainsi parler, à un point