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cette intelligence universelle qui serait le bien suprême considéré par rapport à notre faculté de penser. Elle ne pourra être conçue que de deux manières, ou comme science universelle, ou comme conscience universelle. De ces deux conceptions, en face desquelles nous nous retrouvons toujours, quelle est celle qui devra l’emporter ? En d’autres termes, quand puis-je dire que j’ai la pleine intelligence des êtres et que, par conséquent, mon intelligence est pleinement satisfaite ? Est-ce quand j’ai seulement la science ? — Non, puisque la science, même universelle, roule sur des phénomènes et des rapports ; elle ne connaît les choses, nous venons de le voir, que par le dehors et non par le dedans. Elle explique, mais de quelle manière ? En ramenant les choses à des rapports de rapports dans l’espace et dans le temps, à des enchevêtremens de lois abstraites, à des mécanismes qui ne sont eux-mêmes que des théorèmes de géométrie. En un mot, elle analyse, elle dissout, elle détruit : elle fait l’anatomie des êtres, et, par cela même, elle abstrait la vie. S’il y a là une première satisfaction de l’intelligence, c’est une satisfaction incomplète, qui, réduite à elle-même, se change en déception finale : car, en voulant expliquer les êtres, l’intelligence a détruit les êtres pour ne laisser subsister que leurs rapports. Aussi l’idolâtrie de la science pure finira-t-elle par diminuer dans l’humanité à mesure que la science se rendra mieux compte elle-même de ses propres limites et de son essentielle relativité. La science n’est encore que la projection gigantesque du monde en nous, une ombre s’étendant à l’infini, la silhouette de l’immensité ; si elle saisit l’intelligible, elle ne saisit pas le réel, elle n’est pas la conscience vivante de l’univers. Pour avoir la pleine intelligence des êtres, il faudrait les connaître par le dedans, se mettre en eux et les sentir comme ils se sentent. Or la connaissance par le dedans, encore une fois, c’est la conscience. La pleine satisfaction intellectuelle, ce serait donc la conscience universelle, unissant à la fois moi, vous, tous et tout. Je sentirais vos joies comme miennes, vos peines comme miennes ; dans mon cœur battraient votre cœur et tous les cœurs ; mon tressaillement serait celui de l’univers, je vivrais de sa vie ; il n’y aurait plus pour moi rien d’abstrait, rien de symbolique, rien d’apparent ou de phénoménal : tout serait réel, senti, voulu, vivant et vécu. La « science universelle » n’est encore que l’ombre de cette « conscience universelle, » car si la science n’embrasse que les contours des choses, la conscience seule pénètre au cœur même des êtres. L’idéal d’une conscience universelle saisissant la réalité intime de tous, les réconciliant ainsi en son sein et assignant à chacun son rang véritable dans l’ensemble, c’est proprement, par rapport à notre conscience imparfaite et encore égoïste, ce que la