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déclarent prêtes à le remplir. Éclairer et protéger, découvrir et couvrir, sont des axiomes partout acceptés, partout proclamés. Mais si le but est clairement indiqué, les moyens de l’atteindre sont loin d’être nettement définis. Le doute, la divergence des vues commencent avec l’application. Il est cependant possible d’en esquisser au moins les grandes lignes.

En fait, le but général de l’exploration stratégique se résume au choix judicieux de deux ou trois objectifs principaux. La cavalerie n’aura donc pas, ainsi qu’on l’a trop souvent prétendu, à déployer un rideau épais et continu sur tout le front des armées. Cette dispersion, sans la rendre pénétrante et forte nulle part, la laisserait partout moralement et matériellement faible, incapable d’un effort efficace. Une mission précise exige des procédés décisifs. La cavalerie se divisera en autant de groupes qu’il y aura d’objectifs choisis par le généralissime ; chacun de ces groupes sera fortement concentré.

Cependant elle ne doit pas non plus permettre à la cavalerie adverse de passer au travers de ses intervalles. Ces masses compactes se relieront donc entre elles par un réseau de patrouilles légères, ténues, agiles, constituant une sorte de fil avertisseur. Ainsi voilà l’ossature : quelques fortes masses, enveloppées d’un essaim de patrouilles.

Concentrée pour le combat, avec des élémens dispersés pour la découverte, cette cavalerie s’ébranle. Qui peut s’opposer à sa marche ? Les forts d’arrêt, les bataillons avancés ? Adversaires inertes, cloués au sol, fixés en leurs positions de résistance, ils sont l’immobilité, et elle est le mouvement. Entre les deux, la lutte est inégale. Si elle ne peut les attaquer, les renverser d’un coup de boutoir, elle les tournera, et au prix même de sanglans sacrifices, pénétrera jusque sur la ligne des corps de bataille, y sèmera le désordre et le trouble, en rapportera la lumière.

Une seule barrière s’oppose à cette irruption. C’est la cavalerie ennemie, chargée d’une mission analogue, mais inverse, également entreprenante et hardie, également résolue à faire son devoir. Nous l’avons montré, ce devoir est double. Il faut découvrir en avant, couvrir en arrière. Et, dans cette dualité divergente, l’une et l’autre condition sont connexes ; toutes les deux sont indispensables au succès définitif. Si l’on remplit l’une en manquant à l’autre, l’avantage, étant compensé, reste illusoire ; l’équilibre stratégique et moral demeure en suspens. Aucune des deux armées ne possède cet élément de supériorité réelle et complète que doit lui procurer une bonne cavalerie : être éclairé contre un adversaire qui ne l’est pas.

De l’opposition des objectifs, en même temps que de la connexité