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des moyens, résulte l’inéluctable éventualité de cette collision que tous les auteurs militaires appellent « la grande lutte de cavalerie. » L’horreur du choc ne peut prévaloir contre sa nécessité ; — et le résultat n’en sera décisif que si l’un des adversaires succombe ou s’enfuit. Seules des cavaleries passeraient l’une à côté de l’autre sans combattre, qui auraient renoncé à tenir leur place dans les armées modernes.

En 1870, la cavalerie allemande, encore incertaine et hésitante, put impunément manquer à la moitié de son rôle, se dispenser de couvrir la mobilisation et la concentration de ses armées, En face d’elle, elle n’avait point de rivale. Du premier coup elle se trouvait débarrassée de toutes entraves, indépendante, libre comme après une victoire. Elle n’en profita qu’après les premiers succès de Wœrth et de Spickeren. Elle sait aujourd’hui que des circonstances aussi favorables ne se présenteront plus ; elle se prépare ardemment à la lutte. Forte de ses succès d’hier, grisée par ses espérances de demain, elle apparaît plus enthousiaste, plus ambitieuse, moralement et physiquement mieux entraînée qu’à aucune autre époque de son histoire. Dans ses académies de guerre on ne parle que « de travailler à l’arme blanche. » que de « passer sur le ventre » à toute cavalerie rivale. On y professe une foi aveugle en la puissance du choc. Chez tous ses écrivains militaires on retrouve cette idée arrêtée, que le combat est la conséquence inévitable de l’exploration stratégique en avant des armées : « Celle-là seule des parties belligérantes aura un service bien fait et utile qui réussira d’abord à battre la cavalerie ennemie, » dit le baron von der Goltz dans son admirable livre de la Nation armée. Et un écrivain anonyme, mais à coup sûr influent, — dont les publications incessantes depuis dix ans permettent pour, ainsi dire de « tâter le pouls » à la cavalerie allemande, — s’écrie : « Si vous voulez que vos armées sachent où aller, si vous voulez qu’elles puissent trouver des situations tactiques, vous êtes pourtant obligés de mettre de la cavalerie devant elles ; or, celle-ci, pour arriver à recueillir des renseignemens précis, ne sera-t-elle pas appelée à se frayer son chemin pas à pas, à la pointe du sabre, et à débarrasser d’abord la campagne de la cavalerie ennemie ? Ni le combat à pied, ni les feux d’artillerie ne peuvent procurer ce résultat ; ils sont tout au plus bons pour chasser l’ennemi d’une position et pour se donner un peu d’air. Au lieu de discréditer les duels de cavalerie, on devrait au contraire les faire entrer dans les mœurs, car il est peu probable qu’on puisse y échapper[1] ! »

  1. Directives tactiques pour la formation et la conduite de la division de cavalerie ; par l’auteur des brochures : Armement, instruction, organisation et emploi de la cavalerie. — et : La Division de cavalerie dans la bataille. (Berlin, 1884-1885.)