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Ces exemples sont déjà lointains ; il en est de plus récens, en 1866 et en 1870, qui démentent formellement encore le lieu-commun théorique de l’impuissance de la cavalerie. Custozza, Kœniggrätz, Vionville, voilà assurément trois batailles modernes. Par une trop rare exception, on se décide à faire appel à la cavalerie ; les résultats sont considérables et inespérés. A Custozza, deux groupes de cavalerie autrichienne, prodigieusement disproportionnés, quinze escadrons d’un côté, un seul escadron de l’autre, se précipitent sur les têtes de colonnes du 3e corps italien, au moment où elles débouchent sur le champ de bataille. L’effet moral, le saisissement, produits par cette charge impétueuse sont tels que ce corps entier, commandé par le prince Humbert, est désorganisé, paralysé pour le restant de la journée. Seize escadrons ont immobilisé, distrait du champ de bataille 25,000 hommes. A Kœnigrätz les divisions de cavalerie autrichienne, maladroitement tenues en arrière, ne peuvent intervenir ni dans le prélude, ni dans le cours de la bataille. Mais, vers la fin, alors que l’armée autrichienne est irrémédiablement battue, on se décide trop tard à les faire donner. Deux divisions s’élancent sur les colonnes prussiennes victorieuses, et par leur héroïque dévoûment, empêchent la retraite de se transformer en débâcle. A Vionville, la charge légendaire des six escadrons de la brigade Brédow arrête net le mouvement de notre 6e corps et permet à l’état-major prussien d’amener en ligne de nouvelles troupes. La brigade Brédow succombe, il est vrai, mais après avoir sauvé son armée d’un péril imminent, après avoir rétabli l’équilibre rompu.

Ainsi voilà trois faits précis qui s’insurgent contre les subtilités didactiques trop légèrement admises. Voilà trois champs de bataille modernes sur lesquels, à trois momens différens, an début, au milieu, à la fin de la journée, la cavalerie intervient avec un incontestable succès. Par son audace, elle prépare une victoire ; par son dévoûment, elle conjure un désastre. En somme, elle obtient des résultats tactiques de premier ordre.

Obtenir des résultats tactiques, remplir sa mission, voilà le seul critérium de la valeur actuelle d’une arme, comme instrument de combat. Et c’est cette vérité, cependant élémentaire, que n’ont pas su ou voulu comprendre la plupart de ceux qui s’érigent en juges de la cavalerie. N’avons-nous pas tous lu, et non sans révolte, ces étranges factums, ces surprenantes statistiques où, comparant les pertes produites par la balle et le sabre, on prend texte de ce parallèle pour préconiser telle ou telle tactique de la cavalerie ? Bienheureux quand on ne conclut pas péremptoirement à son impuissance et à son inutilité ! Mais qui donc peut avoir des principes de