Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après l’assaut, il est superflu de continuer l’enquête. Dans la poursuite ou la retraite, la cavalerie a conservé sa mission entière et indiscutée, mission de triomphe ou de sacrifice, brillante ou sombre, mais toujours glorieuse. Sur ce champ de bataille bouleversé, elle règne en souveraine. Seule elle peut arrêter dans leur élan les bandes victorieuses, opposer à leur poussée formidable une impulsion désespérée ; seule aussi, elle a des ailes pour aller au loin étrangler la ligne de retraite de l’ennemi qui s’écoule, puis, par ses menaces hardies sur les flancs, changer sa retraite en déroute.

Mais avant, pendant ou après la bataille comme dans l’exploration stratégique, l’action d’ensemble, la tactique de masses s’impose si l’on veut obtenir de grands et décisifs résultats. En outre, le combat de cavalerie reste l’objectif principal et incessant. Sans la défaite préalable de sa rivale, la cavalerie ne peut en aucun cas accomplir ses autres missions. Ces deux conditions sont permanentes et absolues.

Dans la guerre moderne, il serait vain de procéder par démonstrations partielles. Sans bénéfices, on ruinerait la cavalerie en détail. Cette vérité, évidente quand il s’agit de la lutte des deux cavaleries, éclate encore dans toutes les manifestations de son rôle. Toutes les fois que la cavalerie charge de l’infanterie, même surprise, celle-ci éprouve une panique inévitable, mais de courte durée si la charge est unique. L’ouragan passé, elle se ressaisit, se reforme, et dès lors peut tirer. Il faut prévenir ce moment de sang-froid succédant à un moment de trouble. La cavalerie ne le pourra qu’à la condition qu’une deuxième charge suive de très près la première, et qu’une autre encore, au besoin, leur succède.

De même, après la bataille, de véritables flots de cavalerie doivent se ruer sur l’adversaire. Cet art d’employer sa cavalerie en masses aux momens critiques, Napoléon avait fini par l’apprendre à ses ennemis, ils l’appliquèrent pour la première fois, mais d’une manière écrasante, à Waterloo. Lui-même, dans cette désastreuse journée, s’était départi de sa règle ordinaire. On eût dit que tout conspirait à sa perte. La cavalerie prussienne inonda le champ de bataille alors que la cavalerie française était tombée dans une lutte héroïque, mais inutile. La défaite devint un irréparable désastre. Si à Kœniggrätz, si à Wœrth, la cavalerie allemande eût employé la même tactique, elle eût produit la même débâcle.


Ainsi, loin d’avoir diminué, le rôle de la cavalerie a grandi. Il s’étend à la stratégie et à la tactique ; il est seul efficace dans l’exploration ; il est capital dans le combat.