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jusqu’à Victor Bertin au commencement du nôtre, ceux qui tentèrent l’entreprise ne réussirent-ils qu’à installer dans notre école l’esprit de convention et à ériger on doctrine esthétique le dédain pédantesque du vrai. Idéaliser la nature à force de retranchemens, épurer la forme au point de l’amaigrir et parfois de l’exténuer, soumettre enfin à certains principes d’économie excessive l’emploi des ressources individuelles et du pur sentiment, — tel était le but que se proposaient ces rhéteurs ou, si l’on veut, ces mathématiciens pittoresques dans les œuvres desquels tout se trouvait aligné, pondéré, réduit à l’état de formule.

Or, au lieu d’avoir pour effet une réaction contre de pareils abus, la récompense instituée sous le titre de prix de « paysage historique » ne tendait-elle pas à les étendre ou à les confirmer ? Les épreuves mêmes qui devaient précéder l’admission des candidats au concours définitif, cette obligation par exemple de peindre un arbre « de mémoire » ou celle d’exécuter l’esquisse d’une scène ayant pour théâtre quelque site de la Grèce ou de la Sicile, de l’Egypte ou de la Judée, c’est-à-dire de pays dont les concurrens n’avaient rien vu de leurs yeux, — tout cela n’entraînait-il pas pour eux la nécessité de suppléer à l’insuffisance de leur expérience propre par la contrefaçon des œuvres d’autrui, et de recourir, pour tout élément d’inspiration, aux souvenirs qu’ils pouvaient garder des tableaux ou des estampes représentant des scènes analogues ? Rien de plus contraire assurément aux conditions exactes de l’art du paysage et aux qualités essentielles d’un peintre paysagiste, la bonne foi et la véracité ; rien de moins fait pour développer chez lui les germes du talent, pour en dégager les instincts ou pour en stimuler la sève. L’événement au surplus l’a bien prouvé. Ce n’est point parmi les douze lauréats du prix de paysage historique depuis la fondation de ce prix jusqu’à l’époque où il a été supprimé (1863) que se rencontrent les artistes auxquels notre école de paysage au XIXe siècle aura dû le meilleur de ses titres et ses plus durables succès : sauf deux ou trois, — ceux de MM. Achille Bénouville et de Gurzon par exemple, — les noms de ces anciens lauréats, comme les ouvrages sortis de leurs mains, ne sont-ils pas déjà, et au fond sans injustice, presque complètement tombés dans l’oubli ?

Quoi qu’il en soit, lorsque le concours s’ouvrit pour la première fois en 1817, les jeunes artistes qui se présentèrent avec l’intention d’y participer furent en nombre à peu près égal au nombre ordinaire des aspirans au prix de peinture d’histoire. Cet empressement pouvait donc faire croire que la fondation nouvelle répondait à un véritable besoin, qu’elle comblait utilement une lacune. Il convient d’ajouter toutefois que parmi les concurrens, plusieurs, en tentant