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consacrée à restituer les profondes émotions qui agitaient son cœur. Les exigences de son métier et de sa condition le forcèrent longtemps à mêler à cette recherche d’expression la recherche d’agrémens faciles et superficiels ; mais sitôt qu’il rentra en lui-même, sous l’effet de sa surdité, il reconnut que la voie véritable était celle que lui avait montrée son maître de Bonn. Indifférent, désormais, aux questions de forme extérieure, acceptant sans embarras toutes les conventions de cadres et de genres, il s’efforça sans cesse de purifier son art par le dedans, en ôtant peu à peu tout ce qui n’était pas l’immédiate traduction de sentimens passionnés. Et loin de s’en tenir à ce travail d’épuration de la musique, comme avait fait Gluck, il y vit une occasion à noter avec plus de finesse toutes les nuances des états qu’il exprimait. Puis, lorsqu’il eut poussé son effort jusqu’à un point où nul depuis n’a su atteindre, lorsque les moindres signes de sa musique « et les pauses elles-mêmes, » comme dit Wagner, sont devenus des choses nécessaires, essentielles, reliées par un fil mystérieux et éternel, il se soucia de trouver dans cette musique sublimée les sources d’une jouissance sensuelle plus haute et plus effective que les artifices vite usés de ses prédécesseurs. Sait-on qu’il a essayé à plus de dix reprises de traduire en musique certains poèmes dont le sentiment l’attirait, qu’il a passé des années à se pénétrer des dogmes de la foi chrétienne avant d’écrire la Messe en ré, et qu’il se proposait, dans les derniers temps de sa vie, de noter, à l’usage de ses amis, la liste des poèmes, drames, lectures ou imaginations, qui avaient servi de point de départ à ses principaux ouvrages de musique instrumentale[1] ?

Le goût de l’expression fut encore développé en lui par les œuvres qu’il connut dans ces années de l’enseignement de Neefe. Le Clavecin bien tempéré lui donnait des modèles merveilleux d’une expression solidement maintenue sous les plus subtils agencemens de la forme ; les œuvres de Philippe-Emmanuel Bach lui apprenaient à traduire, dans un langage simple et large, de simples et larges émotions. Haydn, — qu’il paraît avoir alors spécialement pratiqué, — lui révélait des sentimens plus délicats et plus élégans que ne les lui fournissait d’abord sa nature un peu rude. Mais c’est surtout au théâtre que se faisait, son éducation

  1. « Beethoven, dit Ries, se donnait toujours un sujet dans ses compositions, bien qu’il ne cessât jamais de rire et de s’indigner des Peintures musicales. » Il n’était pas moins ennemi de ce qu’on nomme aujourd’hui la musique à programme. Sa musique avait un programme, mais tout de sentimens, et non d’événemens ou d’actions. Qu’on se rappelle, au surplus, sa note en tête de la Symphonie pastorale. « expression des sentimens, et non pas pointure. »