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Peut-être est-ce sous l’influence du comte de Waldstein que Beethoven fut amené à étudier de plus près qu’il n’avait encore fait les chefs-d’œuvre de la musique. Il s’attacha surtout aux ouvrages de J. -S. Bach, qu’il vénérait profondément et en l’honneur duquel il a, toute sa vie, projeté d’écrire une composition importante ; à ceux de Hændel, qu’il n’a jamais cessé de tenir pour le plus grand de tous, précisément parce que, suivant son expression, « c’était celui qui produisait le plus d’effet avec le moins de moyens. » Mais tandis qu’il se contentait de lire et d’admirer ces deux maîtres, il étudiait à un point de vue plus pratique les ouvrages de Mozart, et c’est depuis ce moment que l’influence de Mozart apparaît dans sa musique, pour n’en plus disparaître qu’au jour de l’affranchissement complet.

Les principales compositions de cette époque, — sans parler de cantates, danses et autres morceaux assez insignifians, — portent manifestement l’empreinte de Mozart : du moins elles la portent au dehors, conservant les divisions, la coupe générale et la plupart des procédés de développement des œuvres similaires de ce maître. Mais si l’on veut voir comment Beethoven a su se maintenir tout entier sous une apparente imitation et comment il pouvait déjà s’accommoder d’un cadre emprunté sans y rien sacrifier de lui-même, que l’on jette les yeux sur l’octette pour instrumens à vent (op. 103) et le trio pour violon, alto et violoncelle (op. 3) écrits l’un et l’autre dans la dernière année du séjour de Bonn. Tous deux sont des Parthies ou morceaux de divertissement, destinés sans doute à la musique de table de l’Électeur. Les motifs ont une verve légère avec parfois des andantes d’une mélancolie discrète, telle qu’elle convenait pour mettre en valeur les gais menuets ou finales. La facture reste très simple, plus serrée pourtant que dans les morceaux analogues de Mozart, au point de vue de l’harmonie et de la marche des parties. Mais ce qui est tout à Beethoven, c’est la netteté singulière de l’expression, c’est l’allongement de la phrase et ces modulations imprévues qui éclatent au détour d’une mélodie, et cette façon de couper un motif pour donner une vie extraordinaire à chacun de ses tronçons.

L’instrumentation, en revanche, est assez inégale. Beethoven ne s’entend pas encore à l’art, où excellait Mozart, de revêtir chacun des instrumens d’un caractère qui lui soit propre, d’en faire une personne jouant son rôle distinct dans l’ensemble harmonique. Cet art, d’ailleurs, il ne l’aura jamais à un très haut degré, et son instrumentation restera toujours un peu gauche, un peu heurtée, pleine de trouvailles et de lacunes, jusqu’au jour où il adoptera résolument une instrumentation nouvelle, toute d’ensemble, faisant de l’orchestre une voix unique.