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que par ses propres excès. Si, dans cette Exposition centennale, constituée à la hâte au milieu de grandes difficultés, on peut, comme nous l’avons dit, regretter l’absence de plusieurs élémens sérieux d’information, si quelques personnalités importantes ne s’y trouvent que peu ou mal représentées, tandis que d’autres, assez médiocres ou très discutables, y tiennent une place excessive, il est facile, pour ceux qui ont le goût de ces études, d’aller chercher dans les musées, au Louvre ou à Versailles, les pièces complémentaires et de rendre ainsi à chacun, dans cette mêlée d’abord un peu confuse d’activités contradictoires, la part d’honneur qui lui revient.

A distance, aujourd’hui que sont tombées les poussières et les fumées de la bataille romantique, ce qui nous frappe, c’est cet air de similitude peu à peu repris par les œuvres des mêmes périodes, lors même qu’elles sont le produit d’écoles hostiles. L’action fatale du temps qui, chez les uns, assombrit et apaise les vivacités et les fraîcheurs du coloris en même temps qu’il enveloppe et réchauffe chez les autres les sécheresses et les froideurs de la ligne, contribue sans doute pour quelque chose à cette réconciliation apparente. Néanmoins, c’est là un fait qui éclate aux yeux : malgré les différences des systèmes, des tempéramens, des procédés, différences dont les contemporains, les voyant de plus près, sont volontiers disposés à s’exagérer l’importance, le fonds de l’imagination, alimentée par le courant général des idées, reste à peu près le même chez les artistes d’une même génération. Entre l’héroïsme idéal de David et l’héroïsme réel de Gros, entre l’antiquité théâtrale de Pierre Guérin et l’antiquité poétique de Prud’hon, entre l’exaltation pittoresque de Delacroix et l’exaltation plastique d’Ingres, entre le dilettantisme anecdotique de Paul Delaroche et le dilettantisme observateur de M. Meissonier, les différences sont moins grandes qu’on n’est porté à le croire. Avec un peu d’attention, on peut saisir aujourd’hui, entre eux, la communauté de certains traits qui, aux yeux de la postérité, leur donnera de plus en plus la marque de leur temps.

Ce qui, en définitive, classe les œuvres de peinture, c’est la somme de sensations, de sentimens, de passions, d’observations, d’idées que les artistes sont parvenus à y fixer au moyen d’une réalisation apparente par des formes colorées. Plus cette réalisation est complète, expressive, individuelle, plus l’œuvre a de valeur et de portée. Si cette réalisation fait défaut, quel que soit l’intérêt du but visé, l’œuvre n’existe pas. L’oubli de cette vérité banale est la cause de nos plus grandes erreurs dans les jugemens que nous portons sur nos contemporains ; l’empressement que met le public à prendre les intentions pour des faits, lorsque les peintres, par