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gesticulations ; on dirait que ces rigides guerriers se sont multipliés pour pouvoir mieux s’enchevêtrer, dissimulant mal sous les culottes de peau et les habits brodés leurs carapaces de fer. Le peintre eut même l’intention de donner plus de grandeur classique à la scène en y faisant planer, au-dessus des bonnets à poil, des allégories volantes, mais l’idée fut mal accueillie ; il y renonça. L’imagination de David avait toujours été plus laborieuse qu’abondante ; la volonté et l’érudition, dans ses compositions, jouent, en réalité, le premier rôle ; c’est seulement devant la nature qu’il est en pleine possession de ses moyens, bien que lui-même et ses amis pensent le contraire. Dans le Couronnement, il eut le bon sens de mettre de côté, sans doute à regret, ses doctrines rigoureuses qui ne lui permettaient pas de voir le sujet « d’un tableau d’histoire » dans la représentation d’une scène contemporaine ; il se contenta de reproduire, avec toute l’exactitude dont il était capable, le spectacle imposant qu’il avait eu sous les yeux. C’est ainsi que nous possédons, avec un document historique de la plus haute valeur, une des œuvres qui marquent le mieux une rupture complète avec les habitudes antérieures en fait de peintures officielles, une de celles qui inaugurent l’avènement d’un esprit absolu de vérité, de simplicité, de sincérité, dans la peinture historique. Supposez le même sujet traité au XVIIe ou au XVIIIe siècle, suivant les formules décoratives en usage ; vous y verriez sans doute plus d’éclat, plus de pompe, plus de mouvement, mais nu prix de quels sacrifices d’exactitude ! David transporta, dans la grande peinture, la sincérité qu’avaient déjà apportée nos spirituels dessinateurs de la cour, Cochin, Moreau, Saint-Aubin, en des occasions pareilles, sur leurs feuilles de papier ; il le fit avec son intégrité ordinaire. Ce qui lui manque, c’est facile à voir ; il avait trop méprisé jusqu’alors l’effet pittoresque, il avait trop fait li de la couleur, des belles pâtes, de la touche grasse et large, pour pouvoir, en un jour, même en regardant Rubens et Véronèse, leur emprunter beaucoup de leur vivacité éclatante. Mais comme il indique nettement, même où il ne l’obtient pas, l’effet qu’il faudrait produire ! Avec quelle sûreté, avec quelle autorité ferme et tranquille sont distribués ces groupes, plus ou moins en vue, suivant leur importance, dans la grande basilique, tous tenus en leur place par une lumière, froide sans doute, mais admirablement juste et bien répartie ! La Joséphine agenouillée, le Napoléon debout, le pape Pie VII et le cardinal Caprara, assis derrière, sont depuis longtemps des figures célèbres ! Combien d’autres portraits, nets, frappans, indiscutables, dans cette vaste assemblée ! Ce qui est presque touchant, dans l’effort calme et patient fait par l’artiste pour rendre tout ce qu’il a vu, même ce