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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/544

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chefs-d’œuvre de la France et de l’étranger depuis le commencement du siècle, permit de constater, pour la première fois, la supériorité de l’école française ; elle donna en même temps, aux peintres des divers pays, le désir et ces habitudes de contacts publics et réguliers qui devaient-désormais modifier singulièrement l’orientation des différentes écoles. En même temps, un certain nombre d’élémens nouveaux, dus au progrès des sciences, pénétrant peu à peu dans les habitudes de la vie générale, commençaient d’exercer leur action sur le travail des artistes. Dans l’étude de leurs œuvres, il faudra, à partir de ce moment, tenir grand compte de l’influence croissante que vont exercer sur leurs habitudes d’esprit la facilité dans les déplacemens apportée par la locomotion à vapeur, l’abondance des renseignemens, sur la nature et sur l’art, fournis par la photographe, la variété des études, la multiplicité des sensations, l’instabilité d’attention qui résultent de tant de moyens d’information inattendus. Tout concourt, dès lors, à rendre plus difficile pour eux l’isolement matériel et la concentration intellectuelle nécessaires au développement de la volonté et à la maturation des œuvres, tout concourt en même temps à développer simultanément, chez les amateurs comme chez eux, avec une vivacité extrême, d’une part la connaissance du passé et le goût des curiosités, d’autre part l’admiration du présent et le sentiment de la réalité.

Dans ces circonstances, de 1855 à 1870, voici, à peu près, comment on voit se grouper les nouveaux-venus. Au premier rang, les plus en vue, les mieux encouragés, la plupart des prix de Rome. Cabanel, Baudry, M. Bouguereau. Tous trois débutent entre 1848 et 1855 et se signalent par un éclectisme habile et souple qui s’allie d’abord à des aspirations classiques d’un ordre élevé, puis, peu à peu, tourne, plus ou moins, à la recherche des grâces mondaines et d’une certaine distinction, facilement languissante. Non loin d’eux, mais moins adulés, un peu dans l’ombre, volontiers solitaires, un cercle de rêveurs, de curieux, de liseurs, de causeurs, tous esprits cultivés et praticiens raffinés, qui analysent avec passion les vieux maîtres, gardent leur indépendance vis-à-vis des classiques, des romantiques, des réalistes, tout en sachant les goûter en ce qu’ils valent. Le dilettantisme, dans ce groupe, atteint son plus haut degré de finesse et d’élévation. La plupart de ceux qui en sortent ne sont pas, tout d’abord au moins, des producteurs abondans, ce sont toujours des artistes consciencieux et chercheurs, des poètes délicats ou fiers : Gustave Ricard, Eugène Fromentin. MM. Gustave Moreau, Hébert, Puvis de Chavannes, Delaunay. La troisième troupe vit plus à l’écart, dans la banlieue de Paris, dans