Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de modestes ateliers : ce sont les paysagistes, ceux de la première heure, Huet, Dupré, Rousseau, ceux de la seconde, Troyon, Diaz, Daubigny et les peintres de paysans, Millet, Courbet, M. Jules Breton. çà et là, entre ces trois groupes, se rattachant au dilettantisme par leur passion marquée pour quelque maître ancien, se rapprochant des réalistes par leur amour net et vif pour la nature, quelques praticiens indépendans, d’une personnalité précoce et décidée, marchent avec assurance dans la voie qu’ils ont choisie et contribuent à maintenir dans l’école les traditions d’une technique sérieuse et convaincue : Bonvin, Manet, MM. Ribot, Bonnat, Carolus Duran, Henner, Fantin-Latour, Vollon, etc.

La plupart de ces maîtres vivent encore, et l’on trouve des collections de leurs œuvres récentes dans les galeries décennales ; leurs œuvres anciennes n’en restent pas moins intéressantes à consulter, comme point de départ. On n’aurait, sans doute, qu’une idée incomplète de Baudry ou de Cabanel si on les jugeait d’après les quelques peintures, signées d’eux, qu’on voit au Champ de Mars. Tous deux, Baudry surtout, furent d’habiles décorateurs ; on aurait revu, avec plaisir et profit, des séries bien présentées de cartons et d’études pour le foyer de l’Opéra ou le Plafond de Flore. Les deux tableaux de Baudry, le petit Saint Jean de 1861 et la Vague et la Perle de 1863, sont d’ailleurs très caractéristiques. C’est l’élément parisien, la grâce, un peu maniérée, de l’enfant gâté et de la fille coquette qui s’introduit dans l’idéal classique pour le raviver, l’agrémenter, l’amollir. On se souvient des discussions auxquelles donna lieu la jolie fille de la Vague et de la Perle, se roulant, parmi les coquillages, en face de la Vénus de Cabanel, étendue, vis-à-vis de sa rivale, sur les flots. La Vénus, toute voluptueuse qu’elle fût, retenait un peu plus de son origine antique ; la Perle, dans sa pose provocante, l’emporta pour le piquant, l’inattendu, la fraîcheur et la séduction du coloris. C’est, en effet, un agréable morceau donnant l’idée de la façon dont on comprenait la beauté à cette époque, dans la nouvelle école, presque au moment où Ingres venait d’achever sa Source, dont le type reste plus simple et plus élevé. Quelques portraits bien choisis, celui du Baron Jard-Pauvillier (1855), si vif et si précis, celui du Général Cousin-Montauban, en pied, tenant son cheval (1877) et plusieurs autres des dernières années de l’artiste nous font assister à quelques-unes des métamorphoses de ce talent consciencieux et inquiet dont la manière, surtout dans le portrait, ne cessa de se modifier au gré de ses admirations changeantes. Une intelligence trop accessible et trop vive n’est pas, dans notre temps de communications faciles et de sensations multipliées, une supériorité qu’il