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M. Gustave Moreau est plus fâcheuse, au Champ de Mars, que la rareté de celles de M. Puvis de Chavannes, dont les facultés supérieures ne peuvent être réellement comprises que dans ses peintures monumentales, lorsqu’elles sont placées, en leur jour, au milieu d’une décoration bien appropriée. Nous avons eu bien des fois l’occasion de répéter ce que nous pensions des hautes qualités poétiques et décoratives de M. Puvis de Chavannes, et combien son exemple avait été utile pour rendre aux jeunes peintres le sentiment des ensembles harmonieux et de la simplicité expressive. On n’a qu’à entrer dans le Panthéon et dans la Sorbonne pour lui rendre justice. Le juger, au Champ de Mars, sur des fragmens dans lesquels s’exagèrent son maniérisme archaïque et ses simplifications de rendu, serait profondément injuste. Ce qu’il y faut admirer, ce sont ses beaux dessins préparatoires, d’une allure si mâle, d’une largeur si noble, qui font regretter de ne pas Voir toujours le peintre transporter sur ses toiles la précision du dessinateur. Deux beaux tableaux de M. Ernest Hébert, sans développer son talent poétique et mélancolique sous toutes ses faces, le montrent pourtant sous son aspect le plus noble et le plus personnel ; le Matin et le Soir de la vie et la Vierge de la délivrance, œuvres relativement récentes, offrent le résumé des qualités que M. Hébert manifestait dès sa jeunesse. M. Delaunay est le mieux servi, au moins comme portraitiste. Cinq portraits dans la section rétrospective, dix dans la section contemporaine placent au plus haut rang cet artiste savant. Comme Ricard et comme Baudry, M. Delaunay a demandé conseil aux maîtres les plus variés, mais sans jamais rien abandonner de sa fermeté soutenue et pénétrante, gardant toujours, sous l’enveloppe grave ou brillante dont il les revêt, la solidité vivante de ses corps. Dessin fin, exact, incisif, modelé profond et souple, couleur vive ou grave, éclatante ou éteinte, suivant le caractère des personnages, simplicité et puissance de l’analyse physionomique, M. Delaunay, dans quelques-uns de ces chefs-d’œuvre, unit les mérites les plus différens avec une autorité dans laquelle on ne peut s’étonner ni se plaindre de sentir parfois quelque effort de volonté. C’est une qualité si rare par le temps qui court ! Trois morceaux d’étude, l’Ixion, le David vainqueur, le Centaure Nessus, attestent ce que M. Delaunay eût pu être comme peintre d’histoire s’il avait eu, de ce côté, des ambitions égales à son talent.

MM. Ribot, Bonnat, Carolus Duran, Henner, Fantin-Latour, ont moins dispersé leur curiosité et leurs études que les précédons. Indépendans de bonne heure, secouant toute attache soit avec la tradition davidienne, soit avec la tradition romantique, épris des belles exécutions, simples, fermes, résolues, ne prenant conseil