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ingénieuse, ne lui demandant guère que son or en échange, se suffisant à lui-même, appréciant peu nos arts, ne goûtant pas notre peinture, dédaignant notre sculpture, leur préférant ses images aux couleurs éclatantes, ses ivoires minutieusement sculptés.

C’est au Champ de Mars, à l’entrée de la rue du Caire, que le pavillon chinois, improvisé à la dernière heure, étale sur ses murs extérieurs ses panneaux de bois sculptés et enguirlandés, où un fouillis de personnages circulant dans les rues étroites reproduit fidèlement l’aspect bariolé de leurs grandes villes. Entrez, et dans l’allée transversale du bazar vous retrouvez les mêmes personnages, dans les mêmes attitudes et le même costume. Ouatés de soie, ils passent sans bruit dans leurs épaisses babouches feutrées ; si, d’aventure, vous les heurtez, vous éprouvez la sensation que donne un corps mou, rembourré, sans résistance et sans consistance. Leur regard oblique, en se croisant avec le vôtre, vous laisse l’impression de quelque chose de glissant et de fuyant, d’un œil qui voit et se dérobe. Parlez-leur, et dans leur irréprochable courtoisie asiatique perce une nuance de dédain pour la curiosité banale dont ils se sentent l’objet. Ne vous y trompez pas : nous les étonnons plus qu’ils ne nous étonnent. Ils ne comprennent et ne comprendront jamais nos costumes qu’ils trouvent hideux, incommodes et bêtes, celle livrée démocratique qui n’est un vêtement ni de travail ni d’apparat, qui n’est appropriée à aucun usage pratique, à aucun climat spécial. En tant qu’Asiatiques, c’est par les yeux surtout que le respect pénètre dans leur esprit, et, à leurs yeux, nous manquons de prestige.

Le peu qu’ils savent de nous et de notre histoire n’est pas pour le faire naître. Ils ne comprennent et ne comprendront jamais rien à nos incessantes agitations politiques, tressauts d’écureuils en cage. Fatalistes, ils s’inclinent devant le succès et devant lui se courbent aussi longtemps qu’il dure, soumis à leur empereur parce qu’il représente la Divinité et que la Divinité l’a fait empereur, bon ou mauvais, puis parce que la rébellion est un crime. Mais si la rébellion réussit, si un usurpateur s’assied sur le trône et s’y maintient, c’est que le ciel l’a voulu, et le succès qui vient du ciel confère du même coup l’indiscutable légitimité. Aux faits accomplis, soumission immédiate et passive obéissance.

Superstitieux sans être fanatiques, ils admettent toutes les religions dans la même tolérance sceptique, et, s’ils ont persécuté les chrétiens, ce n’était pas en tant que chrétiens, mais en tant que sectateurs d’une religion étrangère, professée par l’Europe, importée par elle et dans laquelle ils voyaient un instrument politique, menaçant pour leurs institutions sociales. Disciples de Confucius,