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Dans Bangkok, aux pagodes élancées, aux dômes arrondis, aux maisons flottantes qui voguent sur le Mé-Nam, aux magasins dont les panneaux mobiles, chaque matin démontés, laissent plonger la vue dans les salles ouvertes, bazars des produits de l’Indo-Chine, où, sur les théâtres innombrables, acteurs et actrices poudrés de blanc, aux bonnets pointus, aux costumes de polichinelles asiatiques, débitent d’une voix nasillarde d’interminables récits, 600,000 habitans travaillent les métaux, étirent les fils d’or et de soie, confectionnent ces somptueux mobiliers. Epris des formes laborieuses, complexes et tourmentées, leurs ancêtres ont fait surgir du sol ces prodiges de l’art khmer, dont la porte d’angle de la pagode d’Angkor-Wat peut, sous sa forme réduite, nous donner une idée. Le Champ de Mars eût à peine suffi à une reproduction exacte de l’étonnant monument. Sur ce fragment de l’œuvre gigantesque, il faudrait le soleil de l’Inde pour mettre en relief ces effets alternatifs de clair et de sombre qui s’harmonisent si heureusement avec la lumière intense et l’intense végétation des tropiques. Il faudrait, par l’imagination, recréer cette forêt de 1,800 colonnes monolithes couvertes de sculptures, ces 24 coupoles, puis ces palais, ces harems, ces jardins, ces pièces d’eau, sanctuaires, forts, édicules de tout genre, pagodes à tours dentelées, pyramides étagées, surmontées de flèches sans nombre.

Une civilisation gît sous ces ruines dont nous admirons a l’esplanade des Invalides l’un des plus beaux débris, civilisation qui se survit à elle-même dans les produits que Siam étale à nos yeux et dont les Thaïs disparus ont transmis la tradition à leurs descendais. De ce passé qui a jeté tant d’éclat que ses lueurs illuminent encore l’Indo-Chine, que sortira-t-il au contact de la civilisation européenne ? Par l’Annani et la Birmanie, par le Mé-Nam, mère des eaux, des idées nouvelles pénètrent. Les Amazones, gardes-du-corps du roi, déposent leurs arcs et leurs carquois pour se livrer à la culture du mûrier et à l’éducation des vers à soie ; l’esclavage fait place au demi-servage, le commerce à l’isolement, et les produits abondans d’un sol fertile prennent rang parmi les richesses de l’Asie. Ici encore, d’un pas plus lent, d’une allure moins impétueuse, la civilisation en marche s’avance dans ces régions lointaines dont les ambassadeurs apportaient à Louis XIV l’hommage de leur souverain. Doux siècles se sont écoulés depuis lors, et le successeur de Piatak, tenant à honneur d’inscrire le nom de Siam parmi ceux qui figurent à l’Exposition du centenaire, a pris sur lui tous les irais d’organisation et d’installation de la section siamoise.

Par sa tonalité plus discrète, par ses teintes plus adoucies, la Perse repose les yeux qu’ont éblouis les richesses du royaume des