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hippopotame à peine distinct de celui des fleuves africains. Ce grand hippopotame (hippopotamus major) fréquentait les eaux de la Somme ; l’éléphant antique et le mammouth s’avançaient jusque dans le sud de l’Angleterre, où la forêt ensevelie de Cromer garde leurs restes ; et dans le temps même où les troupeaux de rennes étaient répandus partout, aussi bien au pied des versans pyrénéens que dans les vallées sous-alpines et sur les rives mêmes de la Seine, l’éléphant « intermédiaire » du professeur Jourdan, dont le squelette intact a été retiré du lehm, auprès de Lyon, fréquentait les abords immédiats du plus puissant des glaciers européens, celui de la vallée du Rhône. Toutes ces particularités, contradictoires en apparence, s’expliquent naturellement dès que l’on pénètre, à la suite de M. Falsan, au sein d’un état de choses qui, n’ayant rien d’exclusif, comportait des scènes très diverses, réunies dans le cadre d’un seul et même tableau, assez vaste pour les comprendre toutes. De nos jours encore, en remontant de quelques kilomètres au-dessus de Cannes, de Grasse, d’Antibes, ne laisse-t-on pas les palmiers et les orangers pour atteindre bientôt les sapins et la neige des Alpes-Maritimes ? Y a-t-il si loin des bords enchantés du Lac-Majeur aux pentes sévères qui dépendent du Mont-Rose, et des rives tièdes du Léman aux contreforts du Mont-Blanc ? Ces contrastes et bien d’autres étaient alors plus fortement marqués que de nos jours. Les phénomènes, plus grandioses, se heurtaient et s’entremêlaient davantage, et les saisons, en se succédant, accentuaient encore les divergences locales dont les grands animaux de ce temps, libres du joug de l’homme, dans la pleine indépendance de leur instinct, savaient tirer profit, ainsi du reste qu’ils le font encore sur les points du globe où rien ne contrarie leurs tendances ni leurs mouvemens. Ce n’était pas sans doute en plein hiver, ni pour courir sur la glace que les éléphans européens s’aventuraient jusqu’au pied des moraines du glacier du Rhône ou s’avançaient dans les profondeurs boisées de l’Angleterre méridionale, à la recherche des meilleurs pâturages ; non, ils mettaient à profit la belle saison pour entreprendre ces excursions, et sans doute aussi les rennes choisissaient l’hiver, qui les chassait des plus hautes cimes, pour accourir dans les vallées inférieures et y vivre dans une abondance relative. Ces translations annuelles, que l’homme, encore trop faible, ne pouvait entraver, ne trouvaient d’obstacle que dans les carnassiers, à qui elles fournissaient des proies assurées, et dans aucun temps les fauves ne furent plus abondans qu’alors. Le lion, le tigre, l’hyène et l’ours des cavernes, ces fauves redoutables dont la puissance étonne et dont la férocité devait égaler la force, suivaient les troupes innombrables