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LATUDE

Mémoires de Henri Masers de Latude, nouvelle édition avec préface et notes, par George Berlin. Paris, 1889.

Peu d’hommes ont pris dans l’imagination populaire une plus grande place que Masers de Latude. Le célèbre prisonnier semble avoir résumé dans sa vie de souffrances toutes les iniquités d’un gouvernement arbitraire. Les romanciers et les dramaturges du XIXe siècle en ont fait un héros, les poètes ont chanté ses malheurs, que nos plus grands historiens ont racontés, et de nombreuses éditions de ses Mémoires se sont succédé jusqu’à nos jours. Les contemporains de Latude le regardaient déjà comme un martyr, et la postérité n’a pas découronné sa tête blanchie dans les prisons de cette auréole sacrée. Tout le monde a été trompé par la légende que Latude lui-même a formée autour de son nom. Lorsqu’en 1790 il dicta l’histoire de sa vie, il se servit de son imagination méridionale plus que de sa mémoire. Les documens qui composaient son dossier au greffe de la Bastille sont demeurés, pour la plus grande partie, inédits. Ils se trouvent aujourd’hui dispersés dans diverses bibliothèques, à l’Arsenal, à Carnavalet et à Saint-Pétersbourg. Il est, grâce à eux, facile de rétablir la vérité.


I

Le 23 mars 1725, à Montagnac, en Languedoc, une pauvre fille, Jeanneton Aubrespy, mettait au monde un enfant qui fut baptisé trois jours plus tard. Jean Bouhour et Jeanne Boudet, les parrain et marraine, donnèrent au nouveau-né les prénoms de Jean-Henri. Quant à un nom de famille, le pauvret n’en avait pas, enfant