Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/663

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette lettre n’est-elle pas belle dans sa douleur si simple ? La réponse faite par le fils est émouvante également ; mais en la relisant, on sent qu’elle devait passer sous les yeux du lieutenant de police ; en l’examinant de près, on voit entre les lignes grimacer les sentimens.

Nul n’a su, mieux que Danry, jouer de l’âme des autres, éveiller en eux, à son gré, la pitié, la tendresse, l’étonnement, l’admiration. Nul ne l’a surpassé dans l’art, difficile assurément, d’apparaître en héros, en homme de génie et en martyr ; rôle que nous le verrons soutenir pendant vingt ans sans défaillance.

En 1759, arriva à la lieutenance de police un homme qui désormais occupera Danry presque exclusivement, — Gabriel de Sartines. Sartines semble avoir été le type de l’homme distingué. C’était un fin sceptique, de caractère aimable et de manières gracieuses qui charmaient dès le premier abord. Esprit net, il gouvernait avec fermeté. Il était aimé de la population parisienne, qui vantait sa bonté et sa justice. Comme ses prédécesseurs Berryer et Bertin, il s’intéressa au sort de Danry et s’efforça de lui rendre moins cruelles ses années de captivité : « Il m’accorda, écrit celui-ci, ce qu’aucun prisonnier d’État n’a jamais obtenu : la promenade sur le haut des tours, au grand air, pour conserver nia santé. » Il ne cessait de soutenir le prisonnier par de bonnes paroles, l’engageait à se bien conduire, à ne plus mettre d’injures dans les lettres qu’il écrivait : « Votre sort, lui disait-il, est entre vos mains. » Il prenait connaissance de son projet pour la construction de greniers d’abondance, et, après l’avoir lu : « vraiment il y a de bonnes choses, de très bonnes choses là-dedans. » Il le venait voir dans sa prison et lui promettait de faire son possible pour obtenir sa liberté. Il remettait lui-même entre les mains de la marquise de Pompadour le « grand Mémoire » que Danry avait rédigé pour elle. Dans ce mémoire, le prisonnier disait à la favorite qu’en retour d’un service qu’il lui avait rendu en lui adressant un « symbole hiéroglyphique » pour la mettre en garde contre les entreprises de ses ennemis, elle l’avait fait souffrir pendant douze années injustement. Aussi, à présent, n’accepterait-il la liberté qu’avec une indemnité de « 66,000 livres. » Il ajoutait : « Soyez sur vos gardes !… Quand vos prisonniers sortiront et qu’ils divulgueront vos cruautés, ils vous rendront haïssable au ciel et à toute la terre. » On ne s’étonnera pas que ce grand mémoire n’ait pas produit bon effet. Sartines promit au prisonnier de revenir à la charge : « Si malheureusement, lui écrit Danry, vous trouviez quelque résistance aux prières que vous allez faire pour moi, je prends la précaution de vous envoyer la copie du projet que j’ai envoyé au roi. — C’était le mémoire qui proposait de