Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/715

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autorité, lever le drapeau de la république modérée dans les Pyrénées, a été élu à Pau, et, avec M. Léon Say, M. Henri Germain, l’habile financier, est aussi élu dans l’Ain. Et avec M. Henri Germain, avec M. Léon Say, d’autres candidats ralliés au même drapeau sont nommés dans le Pas-de-Calais, en Seine-et-Marne, dans le Rhône, dans le Doubs. Tous ces hommes, dont quelques-uns sont des nouveaux-venus, n’ont point hésité à se déclarer d’avance pour une conciliation libérale, pour la paix religieuse, pour l’ordre des finances. Le mouvement est commencé, la politique de libéralisme pacificateur trouve de l’écho dans l’opinion. De sorte que ces élections sont un succès pour la république sans doute, mais sont aussi la manifestation, aussi complexe qu’on le voudra, d’un pays qui se sent modéré et conservateur quand même.

L’erreur des républicains serait de s’abuser sur leur victoire, de rester insensibles à ce travail d’opinion, d’oublier l’expérience de 1885, de ne pas comprendre que tout ce qui est arrivé depuis a été préparé par eux, par leurs passions et leurs aveuglemens. C’est là, en effet, c’est en 1885 qu’est l’origine de cette crise laborieuse, tourmentée, stérile, où l’on n’a cessé de se débattre, où les idées de dictature ont pu renaître un jour comme un mauvais fruit de la lassitude universelle. Déjà à cette époque le pays excédé, poussé à bout par les vexations, par la politique de parti, par tous les abus d’une administration ruineuse, envoyait brusquement à la chambre une masse de conservateurs de toutes nuances. La majorité républicaine, qui avait été de 3 millions de voix aux élections de 1881, tombait tout à coup à 3 ou 400,000 voix ; c’est-à-dire qu’entre la république et la réaction provoquée contre elle un déplacement insignifiant pouvait tout décider. C’était un avertissement significatif. Ce jour-là, il faut l’avouer, les républicains ont laissé échapper l’occasion d’être des politiques sérieux et même des serviteurs prévoyans de la république. Loin de s’arrêter ne fût-ce qu’un instant pour reprendre leur sang-froid, loin de tenir compte d’un vote qui pouvait les surprendre, mais qui n’était après tout que la manifestation de la souveraineté populaire, l’expression des sentimens et des vœux du pays, ils se raidissaient et ne songeaient qu’aux représailles. Ils commençaient par ces invalidations systématiques qui n’étaient que l’arbitraire mis au service de l’esprit de parti. Ils redoublaient de passion et de violence, traitant la minorité en ennemie, excluant les conservateurs de toutes les commissions, surtout de la commission du budget, poursuivant l’exécution de leurs lois les plus irritantes. Ils ne s’apercevaient pas que cette minorité qu’ils traitaient en ennemie, c’était près de la moitié de la France, que mettre pour ainsi dire hors la loi plus de trois millions de Français en méconnaissant leurs vœux, leurs intérêts et leurs griefs, c’était la plus étrange arrogance de majorité. Ils ne voyaient pas de plus que c’était rejeter presque forcément les conservateurs dans une opposition