Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/714

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des républicains compromis par leur politique. Le fait est que quelques-uns des chefs de l’opportunisme et du radicalisme ont eu des revers ou des mécomptes dans ces élections. M. Jules Ferry en personne a essuyé à Saint-Dié, où il se croyait omnipotent, un échec dur à son orgueil. Un ancien ministre opportuniste, épurateur de la magistrature, M. Martin-Feuillée, est resté sur le champ de bataille à Rennes. M. Goblet, un ancien président du conseil radical, un des principaux auteurs des lois scolaires, a eu de son côté le déboire d’être battu dans son pays, à Amiens, par un simple boulangiste. Puis c’est le tour des ajournés, des contestés. M. le ministre de l’intérieur lui-même, M. Constans, le grand électeur, est en ballottage à Toulouse. M. Clemenceau, M. Floquet, M. Lockroy, sont ballottés dans le Var et à Paris. Ils se relèveront, les uns et les autres, de leur défaite. C’est possible. M. Jules Ferry reviendra à la chambre, on lui prépare déjà des candidatures ; M. Constans, M. Floquet, pourront être plus heureux à un second vote : le coup n’en est pas moins porté. Ces échecs sont certainement un des incidens les plus curieux de ce scrutin du 22 septembre ; mais ce qu’il y a de plus frappant, de plus significatif, ce qui fait le caractère général de ces élections, c’est que dans le fond, à travers toutes les confusions et les équivoques, en dépit de toutes les pressions, elles sont modérées, elles veulent être modérées.

De quelque manière qu’on groupe les chiffres et qu’on joue avec les résultats, il y a un fait sensible, évident. Non, le pays qu’on vient de consulter et qui a répondu de son mieux n’est pas pour les agitateurs et les démagogues qui ne sont que les précurseurs des artisans de dictature. Il n’est pas non plus pour la politique des aventures extérieures et des expéditions lointaines dont le souvenir vient de peser si étrangement sur M. Jules Ferry ; il est encore moins pour la politique des passions exclusives, des tyrannies de parti, des délations dans les communes, des guerres de secte, des persécutions religieuses, des désordres financiers, des emprunts et des déficits. Et rien ne le prouve mieux que le double fait qui caractérise justement les élections d’hier. D’un côté, le radicalisme est visiblement arrêté dans son essor, il a reculé presque partout. Les candidats radicaux n’ont eu que peu de fortune ou sont en ballottage, comme M. Clemenceau, comme M. Floquet, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, parmi ceux qui ont été élus, beaucoup se sont crus obligés de voiler prudemment leur programme. Les radicaux ont décidément perdu de leur popularité et de leur crédit dans un pays désabusé. Ils seront tout au plus de cinquante à soixante dans la chambre prochaine. D’un autre côté, un fait assez nouveau s’est produit dans ces élections. L’opinion s’est tournée avec une singulière faveur vers des hommes qui passent pour les plus modérés des républicains, qui désavouent et combattent la politique des dernières années. M. Léon Say, qui a quitté le Sénat pour aller, avec son expérience et son