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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/821

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Ce qui suit n’est pas moins beau. Les pêcheurs sont rassemblés sur la grève. Ils ont nommé leur chef. Une pirogue approche, portant


Une fille inconnue et belle autant que sage
Que les plus vieux de nous, selon l’antique usage,
Loin d’ici chaque année ont soin d’aller chercher.
Un long voile à nos yeux dérobe son visage,
Et nul ne doit la voir, nul ne doit l’approcher.
Mais pendant nos travaux, debout sur ce rocher,
Elle prie, et son chant, qui plane sur nos têtes,
Écarte les esprits méchans et nous protège.


Mais, comme dit l’autre, cela ne rime pas ! Peu importe. Que font ici les paroles ? C’est la musique qu’on voudrait pouvoir citer au lieu de la poésie ; ce sont les longues gamines qui montent et redescendent, comme pour croiser leurs trames légères sur le front de la jeune inconnue ; c’est l’ardente prière, c’est le cri d’espérance jeté vers la vierge harmonieuse et protectrice.

Elle aborde, saluée par un chœur de bienvenue, tout aimable et gracieux, par de clairs tintemens de l’orchestre. Zurga l’interroge ; il lui fait jurer de veiller et de prier jusqu’à l’aube, de fermer son oreille aux paroles, son cœur aux désirs d’amour ; et trois fois, de sa voix pure et un, peu tremblante, la jeune fille prête serment. La scène est coupée avec aisance, dialoguée avec autant de variété que de naturel. Les mélodies y éclosent en foule, spontanées et faciles, brillantes de la double fleur de la jeunesse et du talent. Tu chanteras pour nous sous la nuit étoilée, commande Zurga, et dans cette seule phrase tout le ciel d’Orient resplendit ; puis les chants religieux éclatent, et l’hymne à Brama se déroule, porté comme en triomphe sur des accords retentissans.

Un grand sentiment de nature et de religion plane sur tout cet acte, qui rappelle un peu, bien qu’en de moindres proportions et par des séductions plus intimes, l’admirable quatrième acte de l’Africaine. Les pêcheurs sont partis ; la jeune fille est demeurée seule, et sur sa tête les « toiles s’allument. Les barques ont quitté le rivage et voguent doucement : Le ciel est bleu, la mer est immobile et claire, chantent des voix lointaines, qui s’éteignent peu à peu ; à l’horizon brillent les falots immobiles. Les beaux jeunes gens sont descendus sous les vagues transparentes. Alors la douce gardienne chante à son tour ; enveloppée de ses voiles de gaze, debout sur la falaise, elle prie les divinités marines de pardonner aux nageurs curieux de leurs secrets, avides de leurs trésors ; elle prie ; et, quand les chercheurs de perles remontent pour reprendre haleine à la surface des flots, ils prêtent l’oreille à sa prière, ils l’entendent de loin et ils y répondent.