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Décidément, le principal personnage des Pêcheurs de perles, ce n’est point l’amoureux Nadir, ni la belle Leila ; c’est la mor, c’est le Grand-Océan tiède et bleu, celui qui baigne l’autre face du monde, celui qu’on ne voit qu’en rêve, à moins d’être oisif et millionnaire, ou marin. Sur des Ilots moins lointains, mais parfois, dit-on, aussi purs, sur la Méditerranée, par de belles nuits d’été, nous avons joué ou écouté ces mélodies, et nous avons senti leur relation mystérieuse avec les vagues murmurantes.


Ma bien-aimée est enfermée
Dans un palais d’or et d’azur,


chante Nadir. Oh ! la ravissante sérénade ! sérénade de pêcheur, ou plutôt de plongeur, qui semble monter du fond des eaux, traverser lentement leur cristal et flotter sur leur face immobile et muette. Ici, comme toujours devant le talent, on ne peut qu’admirer et se taire. Qui expliquera jamais la magie d’une pareille mélodie, et comment toute la poésie, toute la beauté et toute la mélancolie des mers peuvent tenir dans les trois ou quatre mesures d’une chanson !

Quatre ans après les Pêcheurs de perles, le Théâtre-Lyrique donna la Jolie Fille de Perth. Le premier ouvrage de Bizet avait eu dix-huit représentations ; le second en eut vingt et une. Les journaux, du moins, furent beaucoup plus élogieux ; on commençait à compter avec le jeune musicien. Lui-même se sentait en progrès, et, pendant les études de son opéra, il écrivait (octobre 1867) : « Je suis vraiment content ; la répétition générale a produit un grand effort. La partition de la Jolie Fille est une belle chose. Je vous le dis, parce que vous me connaissez. L’orchestre donne à tout une couleur, un relief que je n’osais espérer. J’ai trouvé ma voie ; maintenant en route. Il faut monter, monter, monter toujours. »

Nous qui n’avons jamais fait que lire la Jolie Fille de Perth, nous lui trouvons moins de couleur et de relief ; peut-être aussi la musique souffre-t-elle un peu de la médiocrité d’un livret qui, sans avoir plus d’intérêt que celui des Pêcheurs de perles, n’a pas même autant de poésie. C’est l’aventure de Catherine Glover, fille du gantier Simon, fiancée d’Henri Smith, l’armurier, et compromise par le duc de Rothsay, gouverneur de la ville. Henri croit la jeune fille infidèle et l’abandonne ; la pauvre Catherine, qu’une péripétie banale empêche de prouver son innocence, devient folle comme son homonyme de l’Étoile du Nord. Comme dans l’Étoile du Nord aussi, on lui joue le tour de reconstituer devant elle une scène du passé, stratagème qui, dans la vie réelle, ne manquerait