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nouveautés, comme on vient de le voir, si l’esprit public a été le complice nécessaire, pas un critique ou un historien qui ne convienne qu’un homme en a été l’introducteur, un livre le signal, et qu’un titre et un nom en conservent le souvenir.

Nous sommes donc tous d’accord, historiens et critiques, sinon sur l’importance relative des caractères du Romantisme, au moins sur leur présence dans le Romantisme ; et nous sommes tous d’accord non-seulement sur la valeur propre de la Nouvelle Héloïse, du Génie du christianisme, du livre de l’Allemagne, mais sur la portée de leur influence voici M. Gustave Merlet, dans son Tableau de la littérature française sous le premier empire ; voici M. Emile Faguet, esprit libre et indépendant s’il en fut, dans ses Études littéraires sur le XIXe siècle ; voici M. George Pellissier dans le livre même dont nous parlons ; voici M. Charles Morice, un « symboliste » ou un « décadent, » avec son livre si curieux sur la Littérature de tout à l’heure, — dont les prédictions sont aussi hasardées, et d’ailleurs nuageuses, que la partie critique en est personnelle, curieuse, et même claire ; — et me voici moi-même, qui écris. Nous sommes tous d’accord que Chateaubriand est un grand écrivain ; qu’en dépit de la faiblesse du raisonnement, de la composition, de la pensée, dont nous convenons tous, le Génie du christianisme est et demeurera ce que l’on appelait jadis un livre essentiel ; qu’avec la poésie du sentiment religieux et d’un christianisme trop orné, trop décoratif, trop doré, c’est le prestige du style qui le soutient toujours au-dessus de la Littérature et de l’Allemagne, où les idées abondent ; que ce style, susceptible d’une analyse plus ou moins profonde, a pour qualités générales et principales l’éclat, la couleur, l’harmonie ; et qu’enfin depuis Victor Hugo jusqu’à Pierre Loti, il n’y a pas un coloriste qui ne procède de Chateaubriand. Qu’importent, après cela, quelques divergences, qui sont, dans le jugement de chacun, ce qu’il ne saurait s’empêcher de laisser passer de lui-même dans ses impressions ? On n’aime pas tous Chateaubriand de la même manière ; mais, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, c’est pour les mêmes raisons, lesquelles déterminent bien dans les esprits un « dispositif » différent, sans qu’il y ait division pour cela sur les « considérans. » Et si je ne dis rien ici de Chateaubriand que je ne puisse dire aussi bien de Mme de Staël ou de Rousseau, par exemple, qui ne voit que, pour définir le Romantisme lui-même, il suffit qu’on soit uniquement soucieux de le définir ; — et non pas, comme trop souvent, de se faire à soi-même une originalité trop facile, en prenant les opinions des autres pour le tremplin de ses paradoxes ?