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Le cœur humain de qui ? Le cœur humain de quoi ?
Quand le diable y serait, j’ai mon rieur humain, moi !


C’est ce que le Romantisme a fait ; c’est en proclamant la liberté du sens propre qu’il a comme rouvert la carrière aux aventures de l’imagination, les glorieuses et les fâcheuses ; et c’est en émancipant l’individu, le poète ou le « mage, » de l’autorité du sens commun, qu’il a rétabli dans ses droits cette maîtresse d’erreur, mais aussi d’illusion féconde.

Et cette sensibilité frémissante, communicative ou plutôt contagieuse, dont on le loue, — et avec raison, — comme de l’une des conquêtes qu’il ait réalisées sur l’habituelle impassibilité du classicisme, qu’est-elle autre chose que ce que l’on pourrait appeler la forme aiguë de la personnalité ? Sommes-nous d’ailleurs plus sensibles que ne l’étaient nos pères ? C’est selon qu’on l’entend ; et, pour répondre à cette question, il nous faudrait parler longtemps. Mais, si nous divisons des impressions qu’ils ne percevaient qu’en gros, pour ainsi parler ; si nous sommes touchés en quelque sorte à fond par des sensations qui ne faisaient que glisser sur eux ; si nous passons quelquefois tout entiers dans des émotions où leur solide bon sens ne les laissait engager que la moindre partie d’eux-mêmes, qui ne voit qu’encore et toujours cette évolution de la sensibilité, connexe et conséquente à celle de la personnalité, l’a peut-être pour première origine, et certainement pour mesure ? On pourrait aller jusqu’à dire que les plus sensibles d’entre nous, ce sont les plus personnels, un Rousseau, un Byron, un Lamartine, un Henri Heine, un Vigny, un Musset, tant d’autres encore dont les lamentations immortelles ont semblé quelquefois étrangement disproportionnées à leur cause. Ce qui n’est pas au moins douteux, c’est que, moins occupés d’eux-mêmes, ils eussent moins souffert, toute souffrance, comme on le sait bien, s’accroissant et s’exaspérant par l’attention qu’on lui donne. Ce qui est également certain, c’est qu’au lieu de crier leurs douleurs, s’ils les avaient cachées, leurs chants seraient moins beaux, puisque peut-être ils n’existeraient pas. Et cela nous suffit, à nous, qui, comme nous le disions, ne nous proposons que de bien faire voir dans l’exaltation du sentiment du Moi le caractère essentiel du Romantisme.

Mais on peut le montrer d’une autre manière encore. « Épopée, Tragédie, Drame, Comédie, Églogue, Élégie, Satire… l’Ode a enflammé, incendié, pénétré de sa lumière, et de sa vie tous les genres poétiques, » disait naguère l’un des rares survivans qu’il y ait du Romantisme ; et il avait raison ; mais ce n’était pas assez dire. En même temps que l’Élégie ou le Drame, c’est en effet le Roman, c’est l’Histoire, c’est la Critique enfin que le lyrisme a